Choisir

36 6 2
                                    


Le lieu était bondé, ce qui était peut-être une bonne chose, songea-t-elle. On la remarquerait moins avec son visage rouge de sueur, ses vêtements souillés et ses cheveux en bataille. Tout le monde se pressait vers le bateau en partance, encadré par la garde républicaine armée de fusils. Ils étaient tous fouillés pour s'assurer qu'ils ne partaient avec rien de valeur.

Élisabeth restait près du vieux gardien, le regard rivé sur la ville. Ses pensées se bousculaient dans sa tête. Faisait-elle le bon choix ? Elle avait toujours rêvé de fuir et c'est pourquoi elle sautait maintenant l'occasion, sans réfléchir. Devait-elle vraiment le faire ? Pouvait-elle vraiment le faire ? Malgré l'amour qu'elle lui portait, il n'en restait pas moins le fils d'un palefrenier. L'assassin de ses parents et de deux autres nobles innocents, si ce n'était plus. Quelqu'un qui bafouait l'honneur de sa famille. Ne valait-il pas mieux rester ici ? Elle pourrait certes mourir, mais ce serait dans l'honneur de son nom. C'était peut-être le mieux à faire... Et pourtant, au fond d'elle, elle savait qu'elle ne le ferait pas. Elle chérissait trop la vie. Elle n'était pas du genre à se lancer dans de grands sacrifices. Là-bas, dans ce Nouveau-Monde, elle serait anonyme. Et lui aussi. Ils construiront la vie qu'ils voudront. Ses parents l'avaient abandonnée. Pouvaient-ils la blâmer de les abandonner à son tour ?

L'arrivée de Thomas lui chassa ses derniers doutes. Il se précipita vers elle et montra la bourse au vieux gardien. Ce dernier la soupesa, l'ouvrit, fit glisser les pièces entre ses mains, puis releva les yeux. Son regard s'attarda sur le cou d'Élisabeth.

– "Je crains qu'il m'en faille plus" dit-il avec un sourire mauvais.

Avec un soupir, Élisabeth enleva son collier de perles et le lui tendit. Il le prit avec un regard avide et d'un geste de la tête, leur indiqua qu'ils pouvaient passer.

Thomas lui prit la main sans attendre et se fraya un chemin vers le bateau. Elizabeth peinait à suivre ses grandes enjambées.

- « Nous y sommes presque, pourquoi cours tu ? » haleta-t-elle à bout de souffle.

- « Tu es recherchée par les Républicains et moi par les autorités, nous devons embarquer le plus vite possible. »

Elle accéléra à son tour la cadence. Il avait raison. Peu importait les coups d'épaules désormais, ni même ses côtes qui la faisaient souffrir. La fuite était son unique préoccupation.

Enfin elle posa le pied sur la planche de bois. Dans quelques pas elle y serait, sur le bateau. Mais bien sûr, c'était trop beau pour être vrai. A peine arrivée au milieu de la planche, elle sentit que Thomas lui lâchait la main. Elle se retourna et comprit. Son rêve ne deviendrait jamais réalité.

Les autorités étaient là. Elles l'avaient retrouvé.

- « Thomas Cordier, vous êtes en état d'arrestation pour vol, vandalisme et meurtre sur les personnes de Mr et Mme De Belleroy et du comte et de la comtesse De la Crèze. »

Son cœur se serrait. Il était trop tard désormais. Thomas la regardait, l'air désespéré. Elle le sentait, il espérait qu'elle le sorte de là. Qu'elle joue de son statut pour le sauver comme il aurait été prêt à le faire. Il allait être condamné à mort. Mais lui n'aurait pas le droit à la guillotine. Sa mort sera bien plus terrible.

- « C'est Elizabeth ! » s'exclama quelqu'un dans la foule. « La fille du comte. Je les ai vus, ils sont ensemble ! Elle est une traitre elle aussi ! »

Des clameurs montaient. Comme sur la grande place quelques instants plus tôt, elle sentait la foule se resserrer. Le danger l'entourait. L'étouffait.

- « Non » répliqua-t-elle enfin d'une voix forte. « Je ne suis pas des leurs. » La foule s'était tue, la regardant en silence. Elle hésita un instant et continua. « Il m'a enlevé. Il essayait de me faire quitter le pays. Je ne voulais pas le suivre, il m'y a obligé. »

Elle ne le regardait plus. Elle regardait les autorités. Elle ne pouvait se résoudre à poser les yeux sur lui.

- « C'est vrai ça ! Ils m'ont bousculé, j'ai vu qu'il la trainait, la pauvre arrivait à peine à respirer ».

De nouvelles clameurs montaient, toutes en faveur d'Elizabeth. Il n'y avait que des nobles ici. Tous devenaient aveugles quand il s'agissait de protéger quelqu'un de leur rang, contre les rebelles.

Le chef des autorités hocha la tête.

- « Veuillez nous excuser, citoyenne, du temps qu'il nous a fallu pour intervenir. Vous êtes maintenant hors de danger »

Sa poitrine se desserrait peu à peu. Ils la croyaient.

- « Menteuse »

Thomas l'avait sifflé entre ses dents, mais la rage que contenait ce simple mot avait suffi à envahir le port.

Elizabeth ne put s'empêcher de baisser les yeux sur lui. Il était blessé et furieux. Elle avait mal, mais elle ne pouvait le montrer. Elle devait sauver sa peau. Celle de Thomas était déjà condamnée depuis longtemps.

- « Tu es comme les autres Elizabeth. Hypocrite et lâche. J'aurais dû le voir bien plus tôt. Tu ne vaux rien de plus que tous ces crétins trop apeuré de voir le monde changer. Parce que vous n'avez pas vu qu'il change depuis bien longtemps »

Il fut interrompu par une pierre lancée un peu plus loin. Les autorités commencèrent enfin à bouger. Ils l'emmenaient tandis qu'Elizabeth reculait vers le bateau. Elle ne l'entendait plus, ses cris étaient noyés sous ceux des bourgeois sur le port. Elle détourna enfin le regard, posa son pied sur le vaisseau, profitant de la cohue générale pour que personne ne la remarque.

Elle se dirigea à l'avant du paquebot, pour fuir les clameurs de la foule et n'en bougea plus. Quand le bateau démarra, prit doucement de la vitesse, elle sentit, enfin, ce vent de liberté qu'elle avait toujours désiré. Malgré la mort de son frère, malgré la mort de ses parents. Malgré l'abandon de Thomas.

Depuis le début des révoltes, elle avait toujours voulu fuir. Elle avait senti le danger qui les entourait. Mais elle n'avait jamais osé le faire seule. Elle en avait rêvé en secret.

Elle se souvenait en avoir parlé un jour à Thomas, avant qu'il ne soit renvoyé. Elle se souvenait lui avoir dit ces mots : «J'ai peur, je veux partir d'ici. Je connais cet horizon. Je ne le connais que trop bien. Je sais ce qu'il m'apporte. Et il ne m'apporte rien de bon. Ce que je veux maintenant, c'est savoir à quoi il peut bien ressembler, de l'autre côté de l'océan. Je suis certaine que tout y est plus beau, plus limpide, plus calme.». C'était cet horizon, celui du Nouveau Monde qui l'avait toujours fait vibrer. Et maintenant, enfin, elle y avait accès. Maintenant, elle était libre, elle contrôlait son destin. Elle allait vivre, et elle pourrait décider de sa vie.

Tandis que le paquebot fendait les flots, Élisabeth fermait les yeux, un sourire apparaissant sur son visage pour la première fois depuis des mois. Oui, pour la première fois depuis le début de la Révolution, elle vivait.

___________________________________________________________

Voilà la fin de cette nouvelle, avec un segment plus court cette fois ci!

J'espère qu'elle vous aura plu, n'hésitez pas à me laisser un commentaire pour me donner votre avis. C'est important pour moi de savoir ce que vous en avez pensé, les personnages, le déroulement de l'histoire, etc...

Si vous avez aimé n'hésitez pas à voter pour ma nouvelle ou la partager :)

Et si vous n'avez pas aimé, c'est aussi bien de me le dire, que je puisse éviter de recommencer les mêmes erreurs (de toutes façons je ne suis pas rancunière) ;)

Sur ce je vous fais de gros bisous ♥

Julia

Au-DelàOù les histoires vivent. Découvrez maintenant