La goumandise, un défaut ?

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Un gâteau embaumait la cuisine d'une odeur succulente. Un mélange de chocolat, d'un brin de noisette et de beurre. Il fallait parfois si peu pour se faire plaisir. Mais surtout plaisir à des deux petites gloutonnes affamées au sortir de l'école. Solène était une mère fantastique, du moins c'est ce don elle tentait de s'auto-persuader tous les jours. Elle qui n'avait pour l'instant pas de travail et arrivait tout juste à vivre du RSA et de la pension alimentaire que lui versait son ex-mari. Parfois, elle bondissait lorsqu'elle entendait les gens se plaindre. Tout n'était toujours que concessions. Dernièrement, Solène envisageait une reconversion professionnelle. Depuis qu'elle avait arrêté le travail pour ses petits bouts, elle ne songeait pas retourner dans l'univers de la comptabilité. Surtout que le métier avait bien évolué depuis et qu'elle ne trouverait sûrement plus de travail. Avec son conseiller Pôle-Emploi, elle pensait s'investir dans une formation plus ou moins rapide. La cuisine, ou la pâtisserie, elle hésitait encore. Bref. Un métier culinaire où il y a toujours de bonnes choses à faire et à goûter.

Alors qu'elle s'apprêtait à sortir le gâteau du four, son téléphone vibra rageusement. Solène haussa ses sourcils et s'intéressa au mail qu'elle venait tout juste de recevoir.

Une agence de rencontre ? C'était quoi ce délire ? Elle ne s'était jamais inscrite sur ce site... Yohan... À tous les coups son frère cherchait encore à la caser. Il ne pouvait pas la laisser un instant tranquille ? Elle lui avait pourtant bien dit qu'elle se plaisait toute seule avec ses deux filles. Quel mal y avait-il à être une femme célibataire ?

— Je te sentirais plus en sécurité, lui avait-il dit un jour. Et bien sûr, elle en avait roulé des yeux au ciel.

Solène se concentra tout de même sur la teneur du mail pour s'informer des agissements de son frère bien trop insistant. Il fallait dire que l'agence de rencontre semblait originale. Elle ne savait pas vraiment ce que cela pouvait bien signifier lorsqu'ils mentionnaient un procédé innovant de rencontre. Un jeu de rôle... ? Lorsqu'elle arriva à la fin du mail, elle ne put s'empêcher de rire lorsqu'elle vit le rôle qui lui serait attribué si elle décidait de participer. Elle serait gourmandise. Cela lui allait irrémédiablement comme un gant. Du bout de la langue, elle attrapa les quelques miettes chocolatées restées sur le couteau. Dire qu'elle grondait toujours la plus grande de ses filles lorsqu'elle faisait la même chose. Mais le plus grand privilège d'un adulte, d'un chef ou d'un parent, c'était de dire : "faites ce que je dis, pas ce que je fais !" Mais bon, un autre dicton disait aussi "pas vu, pas pris !"

Solène sourit bêtement toute seule avant de décider d'appeler son frère pour l'engueuler. C'est que sa boîte mail allait encore se remplir de cochonneries !

— Yohan ? Oui, c'est moi. Dis-moi, tu ne m'aurais pas encore inscrite à l'un de ces sites débiles par hasard ?

— Bonjour, oui je vais bien, merci. Et toi ? ironisa-t-il en riant à l'autre bout de la ligne.

— Yohan ! C'est pas drôle !

— Oh voyons, détends-toi un peu, ça te ferait du bien de sortir plus souvent, tu sais. En plus, on t'a déjà dit avec Marie qu'on serait ravie de garder mes charmantes nièces à la maison.

— Et t'occuper de ce qui te regarde, tu sais faire aussi ?

— Hmmm... Non m'dame, désolé m'dame, se fout-il gentiment de sa poire avant de redevenir plus sérieux. Je pense que tu devrais tourner la page Solène. Vraiment.

— Mais je suis assez grande pour...

— Je sais, mais dis-toi que Stacy se sent coupable d'une chose qu'elle ne peut pas comprendre. Elle n'a que cinq ans, tu sais ? Même si tu fais tout pour donner le change, elle remarque que tu es triste.

Solène fronça les sourcils et sentit sa respiration se couper. Comment ça ? Elle n'en avait jamais à la maison.

— Elle t'a dit des choses ? demanda-t-elle inquiète.

— C'est confus. Ça reste du langage simple d'enfant, mais elle est triste. Elle dit que tu ne souris pas beaucoup.

Solène sentit sa culpabilité resurgir de plein fouet. Elle qui était pourtant l'aînée, elle se faisait réprimander à juste titre par son cadet. Pour autant elle ne se sentait pas prête. Elle ne pouvait clairement plus nouer de relations sérieuses, de celles où les affects sont profondément engagés, où l'on donnait une part de soi sans pouvoir y revenir. Un pacte de cœur, parfois plus fort que le sang.

Le silence s'installa dans la conversation. Solène ne savait que dire et Yohan devait attendre une réponse, mais il attendait, patient. C'était son frère, plus jeune, fraîchement marié et heureux. Mais tellement mature... De temps à autre, cela semblait utile, et à d'autres moments, comme celui-ci, ça l'exaspérait.

— Promets-moi seulement d'y réfléchir pour elle. D'accord ? En attendant, elles peuvent venir quand elles veulent à la maison. Surtout si tu as besoin de rester un moment seule.

Solène se pinça les lèvres entre ses dents. Elle avait une furieuse envie de lui crier dessus. Mais sa voix resta bloquée dans la gorge, enserrée par des sanglots inaudibles. Elle voulait vraiment y faire face, mais la plaie était trop vive, trop fraîche. Elle était bien consciente qu'il fallait qu'elle se reprenne pour ses deux petites princesses. D'autant plus qu'elles n'étaient pas encore en âge de comprendre pourquoi elle pouvait de temps à autre flancher. Elles n'y étaient évidemment pour rien. Elles l'aidaient même à tenir beaucoup plus facilement.

— Solène ?

Cette dernière inspira un grand coup pour faire passer l'étau et lâcha d'une traite, avant de ne plus avoir le courage de le faire :

— Je vais le faire. Je vais y aller.

Un silence stupéfait s'installa. Puis Yohan émit un cri mal étouffé de victoire. Comme toujours. Solène soupira et finit par raccrocher en regardant devant elle, le regard vide le temps de quelques secondes avant de se reprendre.

Elle avait promis quoi là au juste ? Solène se maudit en jurant sans parcimonie. Elle allait être, en plus, en retard pour aller chercher ses filles !  

Amour, gloire et péchés.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant