Gullit était une connaissance qu'il avait rencontrée il y a quelques mois, ce n'était pas son vrai nom évidemment, c'était un pseudonyme. Il s'appelait Alessio, mais tout le monde le nommait "Ale". Quelques jours étaient passés depuis l'autre soir, la jambe de Med'le était recouverte d'une vilaine égratignure faite en tombant au sol. Il était rapidement rentré chez lui, avait évité le regard accusateur de sa mère et s'était vite endormi dans sa chambre. Il marchait maintenant dans les rues, en plein milieu de la semaine : "faut faire des thunes". Iil avait subi une perte, une grosse perte. Il devait de l'argent à un homme, de dix ans son aîné. Il allait de gauche à droite, vagabondait, la somme serait vite atteinte mais à quel prix ?
Aujourd'hui, il devait se rendre en cours après une semaine d'absence. Le bahut n'avait pas encore appelé, heureusement. Mais qu'est-ce qu'il l'attendait une fois de retour ?
Les zonards, les tox's, les drogués, l'accompagnaient sur son chemin, appuyés sur les murs des magasins, allongés par terre, ou demandant une cigarette au premier venu.
Il met sa capuche et baisse les yeux au sol, enfile ses écouteurs et s'évade, loin de tout ce gâchis.
Les hauts bâtiments pointent dans le ciel grisé de décembre. Les pigeons se regroupent en cercle pour grignoter les restes d'un kebab. Les femmes se battent sur le trottoir, les voitures passent, klaxonnent, et elles partent. Elles se battent en quête d'ailleurs.
Sur les bancs du tramway, les gens s'entassent. Scotchés sur leurs écrans, la clope au bec. Med'le s'appuie sur l'abri et regarde au loin : l'étendue de béton s'étend à perte de vue, la cité rejoint la ville pour fusionner, de l'extérieur seulement.
Le transport en commun arrive, l'intérieur est bondé, les sièges sont pris par des fonctionnaires, une jeune femme d'à peine une vingtaine d'années se recroqueville dans un coin et décale sa poussette pour libérer de la place. Le bébé gémit et pleure de toutes ses forces, les passagers regardent la scène d'un air impatient. La mère essaie de calmer son enfant, coupable.
Les stations défilent alors que la voix robotique est couverte par les pleurs. Tout le monde se pousse, se heurte. Les mains le long du corps,
Collés à leurs voisins, les usagers baissent la tête et restent cloîtrés dans leurs bulles, évitant tout regard du monde extérieur.
Seul un sourire perdu entre deux adolescents vient casser cette monotonie.
La voix métallique annonce l'arrêt de Med'le. Les portes s'ouvrent et une véritable marais humaine se déverse sur la station, les uns se poussent, les autres se collent contre les parois.
Une partie de la foule remonte vers la surface par un petit escalier : La lumière du jour ainsi qu'une légère brise pénètrent dans la gare. Med'le frisonne et enfonce ses mains dans les poches de son manteau. Il observe les différentes affiches publicitaires : Hannouna, nouvelle égérie de la télé, a encore fait le buzz.
« Ils en ont pas marre de s'engueuler entre connards ? » pense Med'le
Il prépare un gros molard qu'il crache à la figure de ce gros con ; enfin, dans sa tête seulement. Trop de monde à cette heure-ci, pas envie de se faire remarquer.
Il continue son chemin jusqu'à la correspondance du métro. Les choses se répètent, une vague humaine se déferle sur la station. Plus rapide, plus brute. La sonnerie annonçant le départ imminent retentit, on joue de l'épaule ou du bide pour rentrer dans la rame. Les portes se referment sèchement derrière les vainqueurs de cette petite bataille. Les stations défilent encore, comme une routine interminable.
La place République beaux-arts est calme à cette heure-ci. Le palais des beaux-arts se distingue par son architecture à travers cet amas de béton.
Un peu plus loin, la rue remonte en un grand boulevard, les snacks s'enchaînent. Des jeunes entrent et ressortent d'un tabac, pari sportif à la main, le sourire aux lèvres, ils pensent déjà aux futures sommes qu'ils toucheront.
Medl'e tourne au deuxième virage, une rue étroite s'étend devant lui, une rangée de voitures garées à cheval sur le trottoir lui fait face. Les vitres de certaines maisons sont recouvertes de barreaux en fer.
Un gros nuage de fumée flotte au-dessus d'une cinquantaine de lycéens grillant leurs clopes.
Divisés en petits groupes, ils s'appuient sur des rambardes ou restent tout simplement au milieu de la route pour discuter.