Superman, mon éditeur et moi ( sous contrat d'édition)

Jet-lag

Je n'en reviens toujours pas. Moi, Aurore Dubois, mère célibataire de trente-trois ans, poissarde hors compétition, je suis l'auteure d'un des plus gros best-sellers interplanétaires. En l'espace de deux ans, je suis devenue riche, célèbre –  enfin, presque célèbre  –, mon roman The Star and Me se vend à des centaines de milliers d'exemplaires partout dans le monde et,

cerise sur le baba au rhum, il va être adapté au cinéma. C'est d'ailleurs pour ça que je suis aux États-Unis  : j'enchaîne aujourd'hui une série de rendez-vous qui commence dans... –  Merde  ! Merde, merde, merde, merde et re-merde  !  – vingt minutes. Il ne me reste plus que vingt minutes pour avaler un café et me préparer. Décidément, certaines choses ne changeront jamais. Je suis peut-être la nouvelle reine de la romance made in France, je n'en reste pas moins une éternelle retardataire  !   J'ouvre les rideaux et laisse le soleil californien envahir ma chambre d'hôtel. Waouh  ! Tout est blanc, beige et doré.

C'est luxueux et élégant à la fois. La vraie classe à Dallas  ! Je pense à mon fils Leo. J'ai un pincement au cœur car il me manque déjà et que j'aurais aimé partager cette aventure avec lui, mais je n'ai pas le temps de m'attendrir plus longtemps. Je me fais couler un expresso que j'avale en vitesse et direction la salle de bain. Re-waouh  ! Je ne sais pas si je m'habituerai un jour à tout ce luxe. Cette salle de bain est presque aussi grande que mon premier appartement. Et pour ne rien gâcher, il y trône en plein milieu une gigantesque baignoire en marbre rose. Je pense déjà au bain que je vais me faire couler ce soir, aux bougies que je vais allumer et au verre de vin que je vais déguster... Stop, ma vieille  ! Arrête de rêvasser  ! Là, maintenant, tout de suite, tu dois effacer le jetlag de ton visage et passer en mode directrice de casting  !   Je me regarde dans le miroir et, malgré ma mine défaite –  j'aimerais vous y voir, vous, au réveil, après douze heures de vol et cinq heures de sommeil  !  –, je ne peux m'empêcher de sourire. Je me lave les dents et file sous la douche. Tandis que la chaleur de l'eau détend un à un chacun de mes muscles endoloris par le voyage, je repense à ce fameux dimanche où tout a basculé.

Je me revois, avachie telle une vieille serpillière sur le canapé, devant des dessins animés avec Leo, complètement déprimée. Dans la semaine, j'avais reçu une énième lettre de refus d'une maison d'édition. «  Chère Madame, Votre histoire est formidable... blablabla... Le style est impeccable... blablabla... mais nous sommes désolés... blablabla... ce n'est pas ce que recherche le public... blablablabla.  » J'étais découragée et je me repassais en boucle les épisodes malchanceux de ma vie. Rien ne semblait jamais vouloir fonctionner pour moi. J'avais un karma si pourri que j'étais intimement convaincue d'être la réincarnation d'une terrible tueuse en série.

Il y avait d'abord eu ce contrat pour une marque de luxe qui m'était passé sous le nez. J'étais étudiante et gagnais à cette époque quatre sous en tant que mannequin. Je n'avais posé que pour des catalogues jusqu'à ce que je décroche ce fabuleux contrat. Un début de carrière s'offrait à moi. Manque de bol, je m'étais cassé la jambe le jour du shooting et, bien entendu, plus aucune opportunité de ce genre ne s'était présentée à moi dans ce milieu. Il y avait ensuite eu ce poste dans l'édition. À la fin de mes études, j'avais trouvé un stage dans une prestigieuse maison. Passionnée et ambitieuse, je m'étais rapidement fait remarquer. Le directeur de collection m'avait alors recommandée pour le poste qui se libérait dans son équipe. Bien sûr, grâce à ma poisse légendaire, tout ne se passa pas comme prévu. Le pauvre homme fut victime d'un accident avant que ma candidature ne soit validée et je n'obtins jamais ce poste. Ni aucun autre d'ailleurs car, à vingt-trois ans, à la suite d'un accident de capote, je m'étais retrouvée enceinte. Le père, un jeune journaliste qui commençait sa carrière, ne s'était pas senti prêt pour la paternité. Moi non plus je ne l'étais pas, mais j'étais déjà amoureuse de ce petit bonhomme qui poussait en moi.