1ère partie

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- Je ne sais pas, je sais seulement qu'ils fuient, comme nous.

Je restai indécise face à l'ignorance de mon grand frère. Il savait toujours tout Aharon, alors je ne comprenais pas. Il serra un peu plus fort ma main dans la sienne en accélérant le pas. Je devais courir, faute d'avoir des jambes plus petites que les siennes. Ma petite étoile jaune, bien que cousue sur mon manteau brun, se balançait au rythme de mes pas de course. Tous ces gens devant nous, au moins une centaine, qui portaient tous la même étoile que moi. On les rejoint bientôt et Aharon se cala sur leur marche qui était rapide. Je ne savais pas ce qu'il se passait, et cela créait en moins un sentiment de crainte. J'avais froid, malgré le manteau assez épais que j'avais sur le dos et mes petites bottines déjà assez usées. Mon grand frère remarqua que je claquais des dents, alors il s'arrêta et s'agenouilla devant moi avec un sourire, me passant son écharpe autour du cou. Il reprit rapidement sa marche, et son odeur me rassura, l'étoffe me réchauffant par la même occasion. Je faisais attention où je marchais, car parfois apparaissaient des plaques de verglas sous la neige retournée par des pas pressés.

Quand tout le monde s'arrêta enfin, j'étais tellement contente de ne pas être tombée que je ne remarquais pas tout de suite que l'on montait dans un train. Heureusement, je me retrouvai dans le même wagon que Aharon, qui s'était placé derrière moi, les deux mains sur mes frêles épaules. Une personne se plaça devant moi, et ma vison fut obstruée. J'étais collée contre Aharon et cette femme. Je fronçais rapidement le nez : elle puait le parfum, alors trop cher pour être acheté par notre famille. Je me tortillais pour essayer de reculer, mais sans succès. Je devinai le sourire de mon frère quand il me caressa doucement les cheveux. Un bruit de porte qui coulisse retentit, puis ce fut la pénombre presque totale. Personne ne dit mot, et le train démarra, ce qui manqua de me faire tomber. La présence de mon frère me rassurait, et c'était sur lui que je me concentrais pour ne pas me mettre à pleurer. Une question me taraudait néanmoins depuis qu'on était partis de notre maison où Papa et Maman étaient encore. Je me tortillais de nouveau pour me retourner vers mon frère. Je levai la tête vers lui, et il m'adressa un léger sourire.

- On va où ?

Il secoua doucement la tête et son sourire fut plus doux, comme son regard.

- Loin.

- Pourquoi ?

Il me montra son étoile qui était plus grande que la mienne. Je ne comprenais pas : comment ce bout de tissu jaune pouvait être dangereux ?

- Elle est tellement belle que des gens méchants veulent nous la piquer.

Je fronçais les sourcils : c'était absurde ; ils n'avaient qu'a s'en fabriquer eux-mêmes au lieu de nous la voler !

- Ils sont bêtes ! M'exclamai-je vivement.

Mon grand frère mis son index devant ses lèvres alors que des gens plus grands que moi me toisaient d'un œil sévère. Je m'en fichais, mais Aharon me fit comprendre que je devais faire moins de bruit. Vexée, je me tournais de nouveau et croisa les bras.

On avançait toujours, et personne ne parlait. Et en plus, la dame puait toujours. J'en avais marre de ne pas savoir ! Je n'étais plus un bébé ! Déjà 8 ans, vous vous rendez compte ? Mais même si je n'étais plus toute petite, Maman et Papa me manquaient quand même. Et puis je commençais à en avoir marre, je trouvais le temps long, et je commençais à avoir mal aux jambes ! Plusieurs autres personnes alentours commencèrent à se trémousser, sûrement sujettes aux maux de dos ou de jambes. Je n'en avais pas vraiment la place, mais je décidais quand même de me laisser glisser au sol. Je me retrouvais blottie dans les jambes de mon frère, recroquevillée sur moi-même.

Je pense m'être endormie, car lorsque mes yeux s'ouvrirent, j'entendis des gens crier dehors, des mots que je ne comprenais pas. Mon frère me souleva par les aisselles.

- Allez debout, me pressa-t-il.

Je me frottai les yeux. Je n'étais pas en mesure de réfléchir rapidement, encore toute ensommeillée.

- Il se passe quoi ? Lui demandai-je d'une petite voix.

- Tu te rappelle des gens qui veulent nous piquer notre étoile ?

Je hochais lentement la tête.

- Et bien ils sont dehors et vont venir nous la prendre.

Une peur se réveilla en moi, sans que je puisse l'expliquer. Quelque chose comme un mauvais pressentiment qui me poussa à me coller à mon frère, qui regardai sans arrêt autour de lui. Puis, alors que les soldats allemands tentaient en vociférant de casser le cadenas qui retenait la porte, je me retrouvai en l'air. Aharon se fraya un passage parmi la foule qui grogna à chaque bousculade, même si mon frère s'excusait. On se retrouva alors au fond du wagon. Je vis une caisse en bois devant moi, qui contenait quelques marchandises. Mon frère me disposa à l'intérieur, et je le regardai, mes grands yeux remplis de crainte et d'incompréhension.

- Ne bouge pas, ils ne te verront pas et ne pourront pas venir chercher ton étoile, me rassura-t-il en souriant.

- Et toi ?, implorais-je.

Il secoua doucement la tête.

- Je vais les battre avec mes muscles, ria-t-il doucement.

Je l'imitais et pris cela comme un jeu. Je ne me doutais en aucun cas que les nazis allaient déporter mon frère et tous les autres juifs qui peuplaient alors le wagon ; eux bien conscients de ce qui allait se faire. Puis la lumière fut. J'entendis beaucoup plus distinctement les personnes à la langue bizarre qui criaient des mots. Mon frère m'intima rapidement l'ordre de me baisser.

- Ikh bin in dir farlibt*, n'oublie pas, me souffla-t-il rapidement.

Je n'avais plus l'habitude du yiddish, alors peu parlé chez nous sans que je ne sache pourquoi. Néanmoins, je compris instantanément, mais ne pus pas lui répondre. Aharon avait déjà refermé le couvercle. J'écoutais tout ce qu'il se passait, tâchant de me faire toute petite dans mon abri en planches, comme si cela pouvait m'aider. Ma respiration s'était faite plus discrète, et soudain plus aucun bruit. Plus de cris, plus de pas rapides sur le bois, plus de pleurs ou de cris de femmes. Mais soudain, des pas. Ils se rapprochaient dangereusement de ma cachette. Ma respiration se coupa, mes yeux se fermèrent. Un mot prononcé, les pas qui s'éloignaient, la porte qui se referma, le train qui démarra. J'avais perdu mon frère.

* « Je t'aime » en Yiddish


AvivaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant