Prologue

5 1 0
                                    


Le froid pénètre dans la pièce sans ménagement. Je suis appuyée sur la rembarde de ma large fenêtre, ne prenant pas garde aux piqûres glacées de la température bien trop froide, même pour l'hiver.

Une étendue de couverture blanche s'élance devant moi. La neige a recouvert chaque parcelle de surface. Les flocons continuent de chuter du ciel couleur gris comme les cendres tombant des cigarettes que fumait ma grand-mère. Les flocons tombent du ciel, blancs et purs comme le tutu des ballerines. En effet, on dirait de gracieuses danseuses entamant un ballet des cieux jusqu'à la terre. Une danse si fascinante qu'il est difficile pour moi de la quitter du regard. Ma grand-mère est morte ce week-end. C'est étrange de le reconnaître. Quand j'étais petite, l'hiver était sa saison préférée. Elle me racontait, en me montrant les flocons de neige de sa main ridée, qu'ils avaient tous une histoire, et que peut-être j'étais la seule à l'entendre. Papa me disputait toujours après, quand je passais des heures dehors, à essayer de surprendre leur conversation.

Les arbres au loin sont recouverts d'une couverture blanche, leurs branches nues menançantes tendues vers le ciel, comme les griffes d'un monstre. Je frissonne dans mon pull gris, les mailles laissant tant bien que de mal entrer l'air et le laisser se coller à ma peau.

Mais je n'ai pas envie de quitter le seuil de ma fenêtre. Observer la danse des flocons et le silence de l'hiver, c'est comme passer un dernier moment solennel avec Grand-Mère. Je me penche un peu au-dessus de la rambarde, laissant mes yeux se perdre dans le vide blanc. Aucun bruit ne me parvient. Aucun oiseau ne chante, aucun cerf ne brâme, aucune rivière ne coule. Il n'y a que les pleurs silencieux des danseuses reliant ciel et terre dans une dernière danse. Plusieurs d'entres elles viennent se poser sur ma rambarde, redevenant eau en une fraction de seconde. Le ciel mourant un peu plus à chaque instant.

Je me surprends, comme je le faisais plus petite, à tendre l'oreille, comme pour essayer d'entendre cette conversation que je ne pus jamais surprendre enfant. Puis je me ressaisis. Me rappelant que j'ai grandis, que je ne suis plus cette enfant que ma grand-mère a élevée, des rêves plein la tête.

Le ciel est bien trop triste, le soleil semble nous avoir salué et être parti se coucher bien trop tôt. J'aurais eu besoin de ses chaleureux rayons dorés ne serait-ce que pour me rappeler que l'hiver n'est pas éternel et que les fleurs renaissent un jour. Mais l'hiver nous prive de toute chaleur. Je ne vois que le fade et la tristesse s'étendre à perte de vue devant moi. L'horizon n'est plus qu'une vague ligne recouverte de neige, comme pour camoufler l'espoir que pourrait apporter la fuite vers le lointain. J'ai presque l'impression d'être de trop, dehors, dans tout ce blanc et ce parfait. Comme si le paysage tentait de m'effacer, que le froid tentait de me repousser. Mais la tristesse est retombée. Je frissonne pour Grand-Mère. L'hiver sans elle n'est plus qu'un froid meurtrier, une neige armée de ballerines assassines.

Je serre dans ma main une tasse de chocolat chaud. Elle me semble brûlante, bien que le liquide y ait refroidi. Une volute de fumée, elle aussi bien trop blanche s'échappe néanmoins de la tasse, semblant rejoindre le lissage de la neige et le froncement de sourcil du ciel gris.

Dans l'immense paysage que je vois, à l'orée de la forêt lointaine, il y a un arbre. Déshabillé lui aussi par l'hiver. Au seuil du tronc, Grand-mère et moi avions enterré une boîte, lorsque je devais avoir huit ou neuf ans. Cette boîte contient des étoiles en papier sur lesquelles nous avions écris tous nos rêves. Bien sûr, je suis celle qui en avais le plus rédigé. Des rêves erratiques, des rêves d'enfants.

L'un me revient en mémoire. Bien sûr que j'avais souhaité entendre l'une des conversations que partageaient les flocons. L'ivresse d'un rêve enfantin trop longtemps ankylosé. Je nous revois toutes les deux, agenouillées au pied de cet arbre, riant silencieusement pour ne pas que papa nous surprenne. Nous avions creusé la terre de nos ongles, ceux-ci étaient tout noirs après. Nous avions enterré la petite boîte couleur rouille et l'avions recouverte. La terre aurait dû suffir, mais aujourd'hui, la neige s'y est rajoutée. Et je serais incapable de vous retrouver cette boîte, même ayant l'arbre comme repère. Enterrée avec Grand-Mère.

C'est tout un monde d'histoires que je revois là, par la simple présence d'un hiver de plus. La lune menace d'apparaître dans le ciel. Grand-mère me disait que la lune protège les artistes. J'ai toujours écris des tonnes d'histoires, souillé tant de feuilles par mon encre noire. Depuis petite, Grand-Mère m'encourageait toujours à le faire. Toujours plus, elle adorait lire mes récits une fois achevés, et j'étais fière quand mes doigts plein d'encre trahissaient un long moment perdu dans mes personnages et dans mes mondes.

Grand-mère disait que c'était la lune qui me permettait de faire ça. Que sa blancheur éclatante dans la sombre nuit éclairait les âmes les plus tristes. Que sa beauté argentée visitait les rêves d'écrivains ou de peintres qui s'ignoraient dans le but de sauver une toile ou un manuscrit.

Mais aujourd'hui, je me sens agressée par tout ce blanc, toute cette pureté. Mes yeux brûlent devant tout ce paysage lissé à la perfection. Les traces laissées par les chaussures de Grand-Mère dans la neige et nos anges tracés sont recouverts et disparus à jamais.

Comme Grand-mère.

Et puis un flocon se dépose sur ma joue, sa fraîcheur me surprend soudainement. Je l'entends craquer comme une feuille de papier, comme la première page d'un conte déchiré par la main du monde.

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Apr 22, 2016 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

Jusqu'à l'aubeWhere stories live. Discover now