Vous savez, cette fille, je la trouvais laide. Elle était trop maigre, je n'avais pas envie de la toucher, de peur qu'elle ne se brise. Ses traits étaient trop durs, géométriques et réguliers. Ses cheveux avaient cette teinture flasque et tricolore de la mode 2050 qu'on a pas osé enlevé. Et ses chaussures à l'ancienne, en toiles bleues anciennes États-Unis.
Mais putain, qu'est ce que j'aimais son rire. C'était un rire clair et puissant, sonore et honnête comme il n'en existe plus. Un rire qui te prend tout entier et qui remplit toute la pièce, ne laissant plus de place au silence. Et là, quand elle riait, mon dieu ce qu'elle était belle. Je suis tombé amoureux de son rire, de ce cri chanté qui s'envole de sa gorge pour me pétrir le coeur.- Manon.
C'était son nom. Je m'étais toujours dit que lorsque je sortirai avec elle je ne pourrai m'empêcher de lui dire qu'elle était ma non (oui c'est nul, mais j'aimais bien).
Ghyslin me regardait bizarrement.
- Pourquoi tu la veux elle ?
- Je sais pas.
Bien sûr que je savais. Je la voulais. Pour moi. Seulement pour moi. Elle, son rire et son non.
- Et tu vas lui demandé quand ?
- Je sais pas non plus.
- Ouais bah décide toi, c'est bientôt le temps de stage.
- Tout à l'heure à la sortie tu penses ?
Elle était de dos, ses horribles mèches de cheveux attachés en queue de cheval. Elle n'était pas si mal de dos.
- Heu ouais, ça sonne dans deux minutes.
- Ok alors dans deux minutes.
Ghyslin ria.
- Et toi avec la grande ? je lui demandais.
C'était une très grande fille, un bon mètre 87 au lieu des 75 habituelles.
- À la soirée de samedi je pense.
- Quand elle sera saoule ? dis-je en riant.
- Juste avant t'inquiète pas.
Trois bips.
Tous les élèves de l'étude se levèrent. Je n'attendis pas Ghyslin et me dirigea droit vers Manon. Je grimaça en prenant son bras trop fin. Elle se retourna et fronça les sourcils. Je la tira en arrière de la salle. Tous les élèves étaient déjà parti. La caméra de surveillance était éteinte.
- Manon ?
Je me retenue de laisser un espace entre les deux syllabes.
- Oui ?
Je dis d'une traite, pour ne pas avoir le temps de réfléchir, pour ne pas hésiter, pour ne pas flancher.
- Peux-tu être ma copine ?
- Non.
Je me figea. Ça existait des filles qui disent non ? Un sourire se dessina sur son visage et elle dis :
- Je plaisante bien sûr.
Pour me venger, ma main descend jusqu'à son poignet, où la finesse était plus agréable, et je m'avance avec force vers elle. Quand elle se retrouve dos au mur, je l'embrasse lentement. Je crois un instant qu'elle va me repousser mais elle accepte mes lèvres.Vous savez sortir avec sa voisine c'est bien pratique. Ce n'est pas celle d'en face, ni celle de droite ou de gauche. Sa maison est celle de l'allée perpendiculaire à la mienne. Je la vois régulièrement pendant le temps de stage, deux semaines dans une entreprise. Un après midi alors que la télé crie ses infos de guerre et de malheur, je sors dans le jardin. Elle doit me rejoindre. Il fait beau, un ciel bleu limpide, un soleil direct et un faible vent. J'attends un peu, prenant le temps de regarder autour de moi pour une fois. La pelouse synthétique luit sous les rayons. Tout à coup, la petite palissade s'ouvre. Elle apparait dans mon paysage ensoleillé. Je la rejoins, la prends toute entière dans mes bras. Puis elle rit un peu, me prenant tout entier à son tour.
Je vois une tache grise au loin, dans ce ciel uniforme. Un reflet dans la carapace métallique m'aveugle. J'éloigne ma non de moi, le vrombissement de l'avion emplit l'air et l'espace. Il s'approche, rapidement. Trop rapidement. Et il est trop bas. Je plisse les yeux et vois sur son flanc gauche deux traits : un bleu et un noir. Le nouvel État.
Un son strident fait trembler tout le voisinage. Et une ligne blanche file sous l'appareil. Elle touche le sol. Et un geyser de flamme apparaît. Je reste figé. Ma non aussi. Puis je la pousse dans le dos. Elle doit rentrer chez elle, retrouver son foyer.
Elle court, manque de tomber. L'avion se rapproche. Largue une nouvelle bombe plus loin. Il arrive au dessus de nous. Tout le jardin se retrouve dans l'ombre. Je vois un portique s'ouvrir dans son ventre. Un point blanc apparaît puis tombe.
Je n'entends plus rien.
Je vois la ligne blanche toucher la maison d'en face. Les flammes jaillissent et font voler la palissade. Je découvre Manon, prise entre deux jets brûlants. Je les vois se refermer sur elle. Et elle disparaît. Son corps brûlé. D'un coup. Pouf. Elle n'existe plus. Il n'y a plus rien. Plus que des flammes, brûlantes, dévorantes qui se ruent vers moi. La chaleur est indescriptible. Ma peau semble fondre. Puis le feu me prend à mon tour.
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L'air du XXIIe siècle
RandomAlors que le 22e siècles se rapprochent doucement, la Terre et son humanité sont plus déréglées que jamais. Vivez les années 2000 avec les générations qui l'on vécut. Pour le meilleur et pour le pire.