Chapitre 2

4 1 0
                                    

L'homme que Fiora s'apprêtait à tuer se nommait Umberto. Il avait l'apparence d'un homme sûr de lui. Elle le regardait parler à quatre hommes, si semblables qu'ils étaient sans doute ses frères. Les cinq personnages étaient arrogants et satisfaits, comme si se présenter à la Salle des Lames pour répondre à son défi était bien en dessous d'eux.

L'aube diffractait des lueurs anguleuses par les meurtrières et le marbre pâle reflétait la silhouette de ceux qui étaient venus voir une vie atteindre son terme. Ils étaient alignés sous les ogives, membres des deux Maisons, badauds, spectateurs seulement avides de voir le sang couler.

_ Madame, dit Ammdar, le frère puîné de sa Maison, lui tendant une courte rapière à la lame d'acier bleu que la lumière teintait d'éclats liquides. Voulez-vous vraiment poursuivre ?

_ Bien sûr, répliqua Fiora. Vous avez entendu les sornettes qu'Umberto et la stupidité de ses frères répandent au Commercia ?

_ Oui. Mais cela vaut-il la mort ?

_ Si on laisse passer une insulte, tout le monde se pensera libre de bavasser, répondit Fiora.

Ammdar fit un geste de la tête et recula. Faites ce que vous devez.

Fiora s'avança, fendant deux fois l'air de sa lame : un signe que le duel était sur le point de commencer. Umberto se retourna vers elle et la colère gonfla Fiora quand elle le vit évaluer son physique d'un regard qui descendait loin sous le visage. L'homme tira son arme, un long sabre sculpté de la cavalerie demacienne, orné d'un saphir et de glands d'or. Une arme de poseur qui ne convenait nullement aux exigences d'un duel.

Umberto se plaça sur la marque qui lui était réservée et imita les mouvements que Fiora avait exécutés. Il salua et fit un client d'œil. Fiora sentit ses mâchoires se crisper, mais chassa son mépris. L'émotion n'avait nulle place dans un duel. Elle obscurcissait l'art de l'escrimeur et, à cause d'elle, plus d'un grand bretteur avait cédé devant un médiocre adversaire.

Ils se tournèrent autour, multipliant les mouvements de pieds et de lames comme des danseurs au premier temps d'une valse. Les mouvements n'avaient pour but que de rappeler aux deux adversaires la signification de ce qu'ils s'apprêtaient à entreprendre.

Les rituels du duel étaient très importants. Ils avaient pour fonction de maintenir une illusion de civilisation et de noblesse dans l'assassinat. Fiora savait que c'étaient des lois justes, de bonnes lois, mais cela ne changeait rien au fait qu'elle s'apprêtait à tuer l'homme qui se tenait devant elle. Et comme Fiora croyait en ces lois, il lui fallait faire son offre.

_ Monsieur, je suis Fiora, de la Maison Laurent.

_ Gardez cela pour le graveur de tombes ! railla Umberto.

Elle ignora cette médiocre tentative d'ironie et ajouta : « On a porté à mon attention que vous avez meurtri la réputation de ma Maison d'une façon injuste et vile, en répandant sur elle des calomnies sur la légitimité de ma naissance. Il est donc de mon droit de vous défier pour restaurer dans le sang l'honneur des miens. »

_ Je sais tout cela, dit Umberto, fanfaronnant pour la foule. Ne suis-je pas ici ?

_ Vous êtes ici pour y mourir, promit Fiora. Sauf si vous renoncez à combattre en me donnant satisfaction.

_ Et comment, madame, puis-vous donner satisfaction ?

_ Compte tenu de la nature de votre offense, acceptez que votre oreille droite soit coupée.

_ Quoi ? Êtes-vous folle, madame ?

_ C'est cela ou mourir, dit Fiora calmement, comme si elle parlait du temps. Vous savez comment ce duel prendra fin. Il n'y a pas de honte à vous incliner.

_ Bien sûr que si, rétorqua Umberto ; et Fiora vit qu'il pensait toujours pouvoir vaincre. Comme tout le monde, il la sous-estimait.

_ Chacun sait ici ce que je vaux lame en main, choisissez de vivre et portez votre amputation comme une marque honorifique. Ou choisissez la mort et nourrissez les corbeaux du matin.

Fiora leva sa lame. « Mais choisissez maintenant. »

La colère d'Umberto devant ce qu'il croyait de l'arrogance submergea sa peur et il s'élança, la pointe de son sabre dirigée vers le cœur. Fiora avait deviné l'attaque avant même qu'elle ne parte ; elle pivota d'un quart de tour sur la gauche et l'arme ne faucha que le vent. Sa propre lame suivit avec précision un arc en diagonale. Un grondement s'éleva de la foule tandis que, dans une éclaboussure de sang, le duel prenait fin avec une stupéfiante rapidité.

Le sabre d'Umberto tomba en cliquetant sur les dalles de granit. L'homme tomba à genoux, les mains fermées sur une gorge tranchée d'où le sang jaillissait à bouillons.

Fiora s'inclina devant Umberto, mais les yeux vitreux de l'homme n'étaient déjà plus capables de voir que sa mort imminente. Fiora n'avait pris aucun plaisir à cette exécution, mais l'imbécile ne lui avait guère laissé de choix. Les frères d'Umberto vinrent chercher le cadavre et elle ressentit le choc qu'ils éprouvaient devant cette défaite.

_ Combien cela fait-il ? demanda Ammdar, approchant pour lui reprendre la rapière. Quinze ? Vingt ?

_ Trente, dit Fiora. Ou peut-être plus. Ils se ressemblent tous à mes yeux.

_ Il en viendra d'autres, promit son frère.

_ Qu'il en soit ainsi, répondit Fiora. Mais chaque mort restaure l'honneur de la famille. Chaque mort approche l'heure de la rédemption.

_ La rédemption pour qui ? demanda Ammdar.

Mais Fiora ne répondit pas.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : May 05, 2016 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

FioraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant