#wattys2016
Quand le jeune Terron s'éveille ce matin-là, dans la chambre sans fenêtre, sa mère ne s'est même pas levée. Elle est couchée dans son lit qu'elle n'a pas replié en canapé. Un gant sur le crâne, la veuve soupire. Ce détail dans son quotidien simple le perturbe ; sa mère subit de plus en plus souvent des états de faiblesse. Au-delà du néon qui les éclaire en permanence, le triangle de verre dépassant du mur laisse filtrer une autre lumière : il fait bel et bien jour. Les yeux bleus très foncés du garçon parcourent le corps de son dernier parent avec perplexité.
— Ca va pas, 'man ?
Elle entrouvre une paupière lasse vers son fils de treize ans. Ses iris sont verts, aussi sombres que ceux de l'enfant. Bien qu'ils soient tous deux naturellement hâves de la tête aux pieds, les joues de la quarantenaire se sont teintées d'un rose inquiétant.
— B'jour mon gamin. Je ne suis pas en forme, aujourd'hui.
— T'es rentrée tard hier, aussi. Je t'ai même pas entendue.
Elle se hisse sur le clic-clac parmi les coussins.
— Oui, les mômes de première classe ont sali les murs, j'ai eu du mal à tout nettoyer.
— Bah, un coup de seau d'eau et la terre se chargeait du reste !
Elle ricane devant sa décontraction naïve.
— Tu es sot Gareth, j'aurais abîmé les murs et j'aurais été virée. Allez... 'faut bien se lever. Awww...
Gareth la retient, d'une main sur l'épaule. Avec son mètre cinquante passé, il est à sa hauteur lorsqu'elle est assise. Il étire doucement ses grosses lèvres mauves.
— C'est bon reste là, je vais prendre le seau.
Il file ouvrir la porte de la pièce de vie, elle aussi sans fenêtre, cherchant après la réserve d'eau dans la seconde partie du foyer. Sa mère l'a ramené du travail. L'eau est si chère qu'elle prétend toujours avoir besoin de cinq seaux pour nettoyer l'école, alors qu'elle n'en use que quatre et parfois un fond du cinquième. Chaque soir après le boulot, même épuisée, elle remonte le reste, retenant au mieux le contenu avec les autres seaux à nettoyer. C'est toujours ça de moins à décompter de la carte bleue à la fin du mois, quand on fait la file pour régler ses factures dans les appareils de l'hypermagasin. Il glisse ses pieds nus sur la terre plane dans l'espace où se trouve la cuisine. Ah ! Le récipient est près du bureau.
Aujourd'hui, il n'est qu'à moitié plein. Si elle a fait des heures supplémentaires, pas étonnant ! Le tapiscenceur a dû être mouillé cette nuit... Il le ramène à sa mère à petits pas. Il prend ensuite deux gobelets afin de garder un peu d'eau sur le côté pour le brossage de dents. Elle est en train de démêler ses longs cheveux bruns en bataille afin de les nouer. Vu tout le mal qu'elle se donne pour elle et son fils, il le lui rend en lui évitant les tâches ménagères pénibles. Il va juste en cours cinq jours sur sept, au quotidien, c'est rien. En plus, il est dans le troisième cycle, le dernier, rien de grave à ne pas retenir des informations sur un métier qu'on ne compte pas choisir. D'ailleurs, il n'a qu'un petit devoir ce samedi.
Lorsqu'il pose le seau devant leur garde-robe métallique, sa mère en ressort deux gants de toilette et des essuis. Elle retire sa chemise de nuit à pois bleus et Gareth se dénude à son tour avant de prendre le bloc de savon. Ils se lavent ensemble, chacun passant son gant dans le précieux liquide. Gareth frotte ses courts cheveux noirs, son visage carré, son nez un peu épaté, enrobe sa longue main du tissu, le glisse le long de son corps filiforme, profitant de chaque goutte d'eau comme d'autres nantis mangeraient un bon steak. Dans un soupir satisfait, il ôte l'essui(*) de ses épaules solides et rondes, tout propre. Sa mère émet un petit rire à la vue de ses cheveux désorganisés et les lisse aussitôt. Ils enfilent assez vite leurs vêtements, toujours à longues manches pour éviter de prendre froid.
Dès qu'ils se sont apprêtés, ils passent à table dans la pièce de vie, puis se brossent les dents avec l'eau de leurs gobelets. Au moment de laver la vaisselle dans son seau encore rempli du savon de leurs gants de toilette, la mère de Gareth échappe un grommellement devant l'état de l'éponge.
— J'avais oublié... Pff... Va falloir descendre faire des courses. Et j'ai paaas l'énergiiiie, geint-elle en s'écroulant sur sa chaise.
Gareth glisse son assiette vide dans le seau en tapotant le dos de la malade.
— Donne-moi ta liste de course 'man, je vais y aller.
— Mais... et tes devoirs ?
— J'en n'ai qu'un, je le ferai après.
— Tu ne préfères pas faire un jeu ?
Il n'hésite même pas. Il a l'habitude, il adore bouger tout en restant utile.
— Hun hun, je préfère t'aider. Allez, donne !
— C'est gentil de ta part. Il me faut juste l'éponge et des colsons, ça, c'est ma patronne qui me les a demandés.
(*)« essui » en Belgique équivaut à la « serviette de bain » en France
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De terre et de racines (Publié sur Amazon/Wattys 2016)
Science FictionDébut de roman qui a reçu un Wattys 2016 "Nouvelles voix" Pourquoi n'avez-vous pas eu d'occasion de lire les derniers chapitres du roman ? Pourquoi n'ai-je laissé que le premier chapitre en lecture ? Simplement parce que j'ai autopublié ce roman su...