Nous nous entraînions, comme d'habitude au cirque d'Elvett. Matthéo et moi allions après le lycée en direction du cirque de ses parents, très prisé dans la région. Ce cirque se situe entre ma maison et le lycée, ce qui est pratique. Notre spécialité est l'acrobatie. Ce que j'aime dans ce sport, c'est surtout ce que l'on éprouve, sur le trapèze, au dessus du vide : la liberté. Matthéo et moi en faisons depuis l'âge de sept ans, et depuis nos dix ans sur le trapèze.
Nous entrâmes dans la petite caravane réservée aux acrobates, une pièce très modeste comportant en tout : un dressing avec tous les costumes de scènes, une coiffeuse pour se maquiller et se coiffer et quelques placards contenant le stricte minimum. Un paravant était disposé pour séparer les hommes des femmes.
Après s'être préparés, nous entrâmes sous la tente et allumâmes les lumières depuis la salle de contrôles. Quelques minutes plus tard, je commençait par m'échauffer. Je montai l'échelle. Au sommet, je fis quelques réglages au niveau du trapèze et m'échauffa à nouveau dessus. Matthéo faisait la même chose en face. Nous devions apprendre quelques mouvements difficiles et les enchaîner. Au dessous de moi était étendu un grand tranpolling en cas de chute et à la fin de l'enchaînement. Je m'étais habituée, peu à peu, à me réceptionner -- correctement disons -- pour éviter de me blesser.
Je commençai donc par quelques mouvements de base avant d'enchaîner avec les plus durs. Il n'y avait personne dans la salle pour le moment. Je m'assis sur le trapèze pour reprendre mon souffle. Je regardais Matthéo faire, leste et agile, avant de se mettre dans la même position, à l'instar de moi. Il me regarda lui aussi. Je lui soutins son regard, après quoi, il détourna ses yeux et se balança. Je fis de même. J'attendais cet instant. Je me balançais de touts mes forces, puis me mis dans la position du cochon pendu, qu'il reprit. Nous tendîmes les bras dans la direction de l'autre. Mon cœur battait à chaque fois, de plus en plus fort contre ma poitrine. Il m'attrapa le poignet le premier, continuant de me regarder, puis sans un mot, car nous n'en avions pas besoin pour nous comprendre, je lâchai le trapèze. Je me sentis voler. Je ne pouvais m'empêcher de sourir même si ce n'était pas la première fois que je devenais, en quelques sortes, la "ralonge" de mon copain d'enfance. Et cela ne m'empêchait pas non plus de me sentir aussi libre. Je prenais de plus en plus d'élan, et, dans un mouvement synchronisé, nous nous lâchâmes les poignets lorsque j'étais le plus haut et j'effectuai un salto arrière avant de me réceptionner sur mes pieds sur la plateforme. Je continuai de l'observer faire un salto avant et se réceptionner, tout comme moi, sur la plateforme d'en face. J'étais toujours émerveillée par son élégance lorsqu'il sautait.
On continua quelques sauts et mouvements pendant une bonne heure avant de faire une pause, tous deux fatigués par cette séance intense. Nous bûmes quelques gorgées avant de s'étirer. Je le contemplai discrètement bien qu'habituée par sa présence. J'avoue que je sais pas quels sentiments j'éprouve envers lui, si il existe un sentiment plus fort que l'amitié qui nous unit... J'étais toujours dans mes pensées lorsqu'il me demanda:
"A quoi penses tu?" il avait surpris mes yeux posés sur son visage. Je lui mentis en baissant la tête, "A notre entraînement". Je ne pouvais dire si je rougissais. Nous nous changeâmes et partîmes de la roulotte des trapezistes.
Sa maison était située à seulement quelques mètres de la mienne, nous faisions donc tout le chemin ensemble. Ce qui me plaisait, c'était que l'on discutait sur le trajet, on apprenait à se connaître de mieux en mieux. Chaque soir, il allait jusque chez moi, saluer mes parents puis rentrait chez lui, seul. Mais cette fois, ce fut différent.