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"-Alexander ?
-Oui ?
-Tu as toujours ton bidule avec la "date" ?
-Oui. Tu veux savoir quel jour on est ?
-Le douze ?"
Il rigole gentiment.
"-Non, on est le treize.
-Quel jour de la semaine ?
-Vendredi."
Je penche la tête.
"-Tu avais peur de ce jour, non ? Comment peut on avoir peur d'un "jour" ?
-C'est juste une légende, mais...
-C'est quoi une légende ?
-Une histoire dont on a pas confirmé si c'est la vérité ou pas.
-Ah...
-Dis Tsukye, aujourd'hui c'est ton anniversaire tu te rappelles ?
-J'avais oublié.
-Tu sais aux anniversaires on offre des cadeaux.
-Tu en as un ? Tu sais, je n'en ai pas besoin, j'ai tout ce qu'il me faut ; mon lit, à manger, de l'eau et toi."
Il sourit et sort un paquet rouge avec un ruban couleur or.
"-Tiens. C'est pour toi."
Je saisis le cadeau et déchire lentement le papier et trouve une petite boîte bleue. Je l'ouvre et vois le même machin que Alexander porte à son poignet.
"-C'est une montre. Je vais t'apprendre à lire l'heure. Tu veux ?
-Comment on fait ?
-Je prends ça pour un oui. Regarde, tu vois cette aiguille ?
-Une aiguille ?! Tu veux que j'ai encore mes "injections par aiguilles" ?!
-Mais non voyons. Et tu vois les chiffres là..."

Quelques temps après, je savais presque lire "l'heure".
"-Ça fait combien de "années" que je suis là ?
-Sept ans...
-Ça fait beaucoup ?
-Oui, très...
-Et toi ?
-Dix. Je me rappelle la première fois que tu es venue, le 13 décembre... Tu avais encore toute ta tête à ce moment là... Tu n'arrêtais pas de te débattre, tu as même failli tuer l'un des gardes qui te tenaient sur la table. Puis ils t'ont anesthésiée et tu t'es calmée. Et après il on fait ton "lavage de cerveau" comme ils disent. Moi j'appelle ça le gommage de passé."
Je reste muette et imagine la scène dans ma tête.
"-Alexander ?
-Oui ?
-J'ai quel âge aujourd'hui ?
-Seize ans.
-C'est beaucoup ?
-Oui, assez...
-Alexander, de quelle couleur est la lune ?
-De la même couleur que ta peau.
-De quelle couleur est ma peau ?
-Pâle et blanchâtre. Un jour, on ira la voir ensemble, tu veux ?
-Oui."
Je l'entends juste chuchoter ces mots :
"-Aujourd'hui, on va se venger."
Je lève les yeux au ciel.
Une main froide armée de gant m'attrape l'épaule et me conduit à ma chambre. J'avance docilement et rentre dans cette pièce hideuse.
Ces quatre murs blancs, toujours les même dans toutes les chambres. Mais la mienne est différente. J'ai tout perdu de mon passé, mes souvenirs sont effilochés, je les ai perdus. Mais il y a une chose qu'il n'ont pas pu m'enlever. Mon envie de partager et de savoir.
Ils m'ont plusieurs fois dit que je n'avait pas le droit de faire ça mais j'ai continué d'écrire sur mes murs. Alexander m'avait donné ce feutre rouge, et, avec ma montre maintenant, c'est l'objet le plus précieux que je possède. Il m'a dit :
"-Exprime toi avec ça. Ça s'appelle : un feutre."
Je l'avait toujours dans ma poche. C'est quelque chose dont j'ai besoin pour survivre et ne pas sombrer dans la folie. Je m'assois sur le lit. J'ai aussi écris dessus. C'est plus joli comme ça.
Je me demande si c'est vraiment grand seize ans. Je sais que Alexander en a dix-sept, il m'a dit que c'était un tout petit peu plus grand que moi. Sur mon lit, j'ai marqué plusieurs fois cette suite de mots "LAISSEZ MOI SORTIR". Je sais que j'ai fais ça les premières semaines de ma nouvelle vie ici. Maintenant c'est ma maison, mais je veux vraiment voir à quoi ressemble ce monde que Alexander me décrit un peu plus chaque jour. Il dit qu'un jour on ira ensemble.
Mais, contrairement à lui, moi je suis bien ici. Lui, il veut s'enfuir. Moi, je veux rester.
Seulement quelques secondes "dehors" me suffiraient. Je retire mes chaussettes blanches et m'allonge sur le lit. Je scrute le plafond, lui aussi étant passé à la torture des mots. "NE DORS PAS", "SOMMEIL SANS RÊVES" et "DE TOUTE FAÇON, T'AURAS LE TEMPS DE DORMIR QUAND TU SERAS MORTE". Je savais encore parfaitement lire et écrire juste après mon "gommage de passé" car ça n'avait pas encore fait effet. Maintenant je suis un peu moins instruite, mais Alexander fait mon instituteur. C'est rigolo. Je m'endors, le feutre rouge en main. Mais je sais que ça sera, comme je le disais sur le plafond, un sommeil sans rêves. Je ne fais que des cauchemars, quand ce n'est pas qu'un vide profond.

Je me réveille le lendemain avec une migraine horrible. Mon feutre est par terre, je m'empresse de le reprendre. Je vois comme tout les matins les mots sur le mur d'en face. "TU N'ES RIEN", "TROUVE UN COUTEAU ET FOUS LE TOI DANS LE VENTRE", "SALE POURRITURE" ou encore "T'ES DÉJÀ MORTE".
Le terme de la mort est toujours assez abstrait dans ma tête mais je m'en fichait pas mal.

'Treize comme vendredi treize'Où les histoires vivent. Découvrez maintenant