« C'est fou ce que l'Homme est prêt à inventer pour s'évader... Tout ce qu'il a toujours fait c'est s'enfuir, tourner le dos à ce qu'il est, ce qu'il fait. Maintenant il faut voir cette masse, qui grouille informe, avec le commun désir d'échapper à ce quotidien anthropophage, s'approcher un peu plus de l'infini. C'est dans leur nature que de partir, quoi de plus naturel que de vouloir s'approcher de l'Idéal ? »
Octave tourna lentement la tête vers le tarmac.
« Mais ces gros cylindres métalliques leur fera-t-il quitter leur vie telluriques ?
Il m'est avis que ces machines sont la mort, lorsque, naviguant sur une mer blanche de nuages, deus ex machina, un coup du sort, et nous voici vivement rappelés à notre destin, sans prévention ni rapport. »
Octave émit un soupir métaphysique. Il aimait observer les gens, ces êtres incompris, qui s'agitaient autour de lui. Cette mouvance générale, tous ces atomes, qui s'éloignaient, se rapprochaient, s'embrassaient, se repoussaient. Ce couple là-bas, assis sur un banc, en semblait la parfaite concrétisation. Ils ne se regardaient pas, paraissaient en cela se repousser, mais l'attachement qu'ils avaient l'un pour l'autre était évident. Cette tension dans l'air, ces mouvements gênés et ces corps incompris... ils étaient liés l'un à l'autre par quelque chose de plus fort encore que l'amour et la haine : la parenté. La femme semblait absente, ses yeux, pourtant lointains, ne reflétaient qu'un abîme de colère et de douleur. Son regard braqué sur un point fixe, dans le vide. Réfléchissait-elle ? Ou divaguait-elle ? Le traumatisme se lisait sur ses traits crispé, mais aussi dans la profonde incompréhension qui entachait le visage de son mari. La culpabilité paraissait troubler son esprit. Était-il vraiment coupable ?
« Les voies des femmes sont souvent impénétrables. » se surprit à murmurer Octave.
Cette famille déchirée était intéressante, c'était une véritable aquarelle des affects humains, peinte à l'encontre de cette petite fille assise non loin, la leur sans aucun doute, authentique victime de cette situation électrique.
Elle avait l'air bien triste, mais d'une tristesse naïve. Non pas qu'elle ne voyait pas que sa mère avait mal, la cause semblait seulement lui échapper. Octave se mit pendant quelques instants dans la peau de cette enfant. Elle ne devait pas avoir plus de dix ans, une petite fille, bien trop jeune pour connaître cette situation familiale. Mais bon. Il comprenait, sa propre enfance n'avait pas été de tout repos. Et finalement, peut-être bien qu'il aurait préféré être à sa place...
Ses pensées furent arrêtées par une voix monocorde, qui annonçait un embarquement imminent. Enfin... Après deux bonnes heures de retard. Au moins. Il regarda sa montre à gousset. En effet, deux heures. Décidément cette compagnie n'était vraiment plus ce qu'elle avait été. Cela faisait maintenant sept ans qu'Octave voyageait avec OKLM à destination de Miami, rendre sa visite annuelle à sa sœur Livia, pour son anniversaire.
Il eu un soudain regain de conscience, et se rendit compte que s'il continuait de rêvasser de la sorte, le décollage se ferait sans lui. Il se leva prestement et se présenta à l'embarquement. Une fois à bord, il s'assit à sa place, la numéro 22 A. C'était un petit avion, seulement une centaine de passagers, selon ses estimations, et des rangs de deux sièges. Il préférait cela aux rangs de trois ou de quatre, où l'on était obligé de se lever à chaque fois que quelqu'un voulait aller aux toilettes. Il n'avait pas hâte que son voisin arrive, il aimait être seul. Et en réalité, la veste posée sur ce siège 22 C, ne lui disait rien qui vaille. Qui que soit son partenaire de voyage pour les neuf prochaines heures, il avait un veston huppé, à la très forte odeur de cigare. Octave n'avait pas vraiment envie de le rencontrer. Il mit ses bouchons d'oreille, attacha sa ceinture, et reposa sa tête bien au fond de son appui-tête. L'embarquement venait de se terminer, et le fumeur de cigare du siège d'à coté ne devrait sûrement pas tarder à revenir des toilettes, si toutefois il y était.
VOUS LISEZ
Vol Funeste
General FictionLe 3 juillet 2010, un avion en provenance de Paris se crash mystérieusement au large des Bahamas. Ses 100 passagers n'atteindront jamais leur destination : Miami... Mais qui étaient-ils? Et que faisaient-ils dans cet avion? Les dernières heures de...