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Gare maman. Sur le quai il y avait maman et moi. J'avais très envie de lui tenir la main. Mais je ne l'ai pas fais. Je suis trop grand. Je n'ai pas mis les mains dans les poches de mon pantalon. À la place j'ai serré mon cahier orange contre mon torse. Je l'ai serré très fort. Mes ongles ont laissé des trous dans la couverture. Ça m'a rendu triste. Mon cahier est tout abîmé. Comme moi. Je suis tout abîmé. Je continue de regarder mon cahier. Des gouttes d'eau atterrissent sur la couverture pleine de trous d'ongles. Je m'essuie les joues avec la manche de mon sweat jaune. Sur mes joues il y a une inondation. Sous mes pleurs, j'ai toujours peur de mourir noyer. Je garde bien la tête baissée. Je ne veux pas que le connard me voie pleurer. Oh non. Je fixe mes pieds. Espèce de connard de mes deux baskets moisis. Gare maman. Maman et moi on est partit le récupéré au train. Il est partit pendant trois jours. Maintenant, je suis dans le monospace, sur la banquette arrière. Maman et le connard sont à l'avant. Il tient la main de maman par-dessus le levier de vitesse. Mes ongles s'enfoncent dans le cahier. Trous. Maman rit de ses blagues. Le connard pose la main sur la cuisse de maman. Trous. Trous. Trous. Le connard me demande si je ne lui ais pas manquer. Très gros trou. Je relève la tête. Maman me sourit par-dessus l'appuie tête. Mes yeux naviguent vers le rétro. Je croise son regard noir et son sourire tout fait. Maman ne comprendrait pas si je dis non. Il ne le fait jamais devant elle. Alors je me force à sourire. À l'endroit mais au fond de moi c'est à l'envers. J'ai envie de vomir mes tripes. Mais je serre les dents. Je ne veux pas vomir sur mes genoux. Parce que sur mes genoux il y a mon cahier orange.

— Tu vas où comme ça ?

Après être sortis du monospace, je m'arrête. Je pivote sur mes vieilles baskets. Maman n'est plus là. En revanche le connard est là.

— Ben. Euh.

Je ne sais pas où je vais. Gare maman. Je baisse les yeux sur mes chaussures rouges. Le lacet gauche est défait.

— Je vais parler à mes amis.

— Tu as des amis ?

Je sers mon carnet. Non non. Fais attention. Pas de trous d'ongles. Je lève les yeux vers lui.

— J'en ai plein, m'écrié-je.

Je lui tourne le dos et me met à courir sur cent mètre. J'attend un bus et le prend. Je suis essoufflé. Je transpire un peu. J'ai trébuché sur une valise. Mon pantalon est troué et couvert d'herbe. Mon cahier aussi. Je regarde mon cahier-pentalon et j'ai envie de pleurer. Mais j'attends d'être accroupit sur le toboggan jaune dans le parc pour ça. Ensuite je chiale un bon coup à cause de mes hématomes.

J'ai pleins d'amis. Les hématomes sont mes amis. J'ai moins de vert et de jaune sur le corps. J'ai beaucoup de bleu et de violet. J'ai énormément de rouge. J'ai l'impression qu'un enfant de CP m'a barbouillé de peinture.

Pas de peinture orange.

Si mon cahier est orange c'est parce que c'est la seule couleur que je n'ai pas sur le corps. J'ai du bleu, du vert, du violet, du rouge, du marron et du jaune. Mais pas d'orange. Parce que les hématomes ne sont pas oranges. Alors j'ai ce cahier orange. Comme ça, je suis un arc-en-ciel. Soleil + Pluie = Arc-en-ciel. Il pleut tout le temps sur mes joues. Des grosses averses. On appelle ça la tristesse. J'essuie mes larmes avant que l'une d'entre elle ne tombe sur mes genoux. Parce que sur mes genoux il y a toujours mon cahier orange. Un carnet orange avec des trous et une étiquette avec mon nom.

Titouan Levigreens.

Gare maman. Anagramme. J'ouvre mon cahier et j'écris les anagrammes de mon nom.

ivre vie givre nul ravi étoile violent seul triste alone survit orange alien terrien t'es rien

J'efface à la gomme de mon crayon de papier mon nom sur l'étiquette et je rectifie.

Titouan le terrien.

Un terrien avec des baskets rouges, un jean troué au genou, non pas qu'il l'a acheté comme ça. Ouais apparemment c'est la mode. Non non, ce terrien a juste trébuché sur une valise à roulette rose tout à l'heure. Il déteste le rose. Trop cucu. Pourquoi cette petite fille l'a laisser pile dans le trajet du terrien ? Donc le terrien porte aux pieds des vieilles baskets rouges, une chaussette rayée et une chaussette verte, ouais, il n'a pas trouvé l'autre chaussette dans son tiroir. Elles sont toutes divorcées. Il a un jean troué aux genoux, des chaussettes divorcés, des pompes rouge, un tee-shirt, les yeux marron, des lentilles car le connard a cassé ses lunettes, des cheveux blonds et à une bouche pour parler. Sauf que le terrien ne parle presque jamais. Sauf pour demander s'il reste du papier hygiénique rose toilette ou du Nutella. Ce n'est pas son truc de parler. Parler à qui ? Il n'a pas d'amis. Sauf les hématomes. Oh le terrien parle beaucoup aux hématomes. Quand est-ce que vous allez vous en allez ? Un deux trois soleil, oh, tu étais là l'autre jour ? Je ne t'avais pas vu. Pourquoi est-ce que vous vous agglutiné tous autour de mon trou ombilicale le nombril et mon pénis ? Ses amis ne lui répondent jamais. Non. À la place, ils s'en vont. Tous les jaunes. Les verts restent encore un peu avant de partir aussi. Et puis le garçon terrien rencontre ses nouveaux amis. Ils sont tous bleus. La progressions des hématomes : rouge puis bleu puis vert puis jaune. Pour ça, il a beaucoup d'amis. Pourtant il se sent seul. Les filles et les garçons de son âge l'ont toujours trouvé trop bizarre. Parce que le garçon a peur de se noyer sous ses pleurs. Alors il s'époumone et agite les bras dans tous les sens. Parce qu'il rit quand ce n'est pas drôle. Parce qu'il ne parle pas beaucoup. Parce qu'il a fait fuir toutes les filles qui voulaient sortir avec lui. Le terrien n'est pas un alien. Ce n'est pas un monstre. C'est juste un garçon. Il ne sait pas quoi dire aux jolies filles. Il s'en mêle les pinceaux. Bleu. Vert. Jaune. Il a de la peinture hématomes partout sur le corps. Parce qu'il aime les garçons aussi. Il est tombé amoureux d'un à la piscine. Il l'avait embrassé sous le champignon. Le connard l'avait vu et l'avait sortit de la pataugeoire. Maison. Coup. Espèce de tapette. Coup coup. Le terrien n'a rien dit. Coup. Le soir il avait pleins de nouveaux amis sur son corps. Alors le terrien n'a jamais eu d'autres amis que ces hématomes. Le terrien et les hématomes. Une histoire d'amour. Ils vécurent heureux et eurent plein d'hématomes-pas-orange. Mais le terrien n'est pas heureux. Il est triste. Il en a marre d'être frappé par ce connard. Ça lui fait mal. Il ne veut surtout pas avoir d'amis. Il ne veut plus jamais en avoir.

Content de moi, j'efface le crayon de papier sur l'étiquette. Je réécrit de nouveau par-dessus.

Titouan t'es rien.

TITOUANOù les histoires vivent. Découvrez maintenant