Chapitre 4

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Le silence s'était installé depuis près d'une minute. Viviane prit une inspiration et s'adressa à nouveau à son amie.

— Gaby, ok cette ville est grande. Mais un homme ne passerait pas inaperçu, surtout s'il n'est pas répertorié.

— C'est ce que je lui ai dit. En gros.

— C'est quoi cette histoire ?


Viviane scrutait son amie, comme si celle-ci était en mesure de lui fournir une réponse.


— Si un homme se baladait dans la ville, ce serait passé aux infos non ?

— Si c'était le cas, on serait toutes les deux au courant parce que non seulement sa présence aurait été annoncée aux infos, mais en plus on aurait pu assister à son arrestation en live sur tous les panneaux publicitaires, écrans et smartphones de la ville avec flashs infos et conseils de confinement. Le gouvernement aurait sorti le package "fin du monde en approche".

— Tu as raison, soupira Gabrielle, résignée.

— Ça fait des années qu'il n'y pas eu d'évasion. Et en général ceux qui s'échappent trouvent la mort avant même d'atteindre une ville.

— Alors ce mec est répertorié.


Gabrielle écrasa sa cigarette dans le cendrier en inox.


— Tu veux boire un truc ?

— Tu te sers quoi ? demanda Viviane.

— Un verre de blanc.

— Laisse tomber, on a plus de whisky. Je vais au lit et on reparlera de ça demain.

— Ok. Bonne nuit Viv'.


La jeune femme se leva, souhaita bonne nuit à son amie et se dirigea vers le couloir. D'un pas décidé, Gabrielle rejoignit le meuble de l'entrée pour y déposer son sac. Elle appuya ses mains sur les bords de la console et étira son dos en baissant la tête. Elle la releva pour se regarder dans le grand miroir. Ses cheveux bruns et ondulés retombaient sur son visage. Elle passa ses mains sur ses joues et sur son cou.


— Je suis crevée et j'ai l'air vieille, dit-elle à voix haute.


Elle approcha son visage du miroir, guettant l'apparition d'éventuelles rides aux coins de ses yeux. Des yeux noisettes âgés de vingt-huit ans. Et pas de rides sur cette figure qu'elle contemplait dans le miroir. Si elle s'approchait un peu plus, elle savait qu'elle verrait les petites ridules qui commençaient à apparaître aux coins de ses yeux. L'effet cigarette.

Gabrielle préféra reculer et observer sa silhouette. Elle aimait ses rondeurs et trouvait qu'elle en manquait même par endroit, notamment au niveau du buste. Elle enviait les seins généreux de Viviane. La nature l'avait dotée d'une poitrine menue, beaucoup trop petite à son goût mais elle avait cependant un fessier joliment rond et une taille plutôt fine. Sa peau était mate, et son teint, net et sans défaut.

Parfois,en s'observant ainsi, elle avait l'impression de dévisager une étrangère. La sensation que cette fille aux sourcils noirs et arqués, et au nez légèrement retroussé était quelqu'un d'autre.

Elle alluma une autre cigarette et recracha la fumée dans le miroir. Sortant de sa rêverie, elle se dirigea vers la bande de béton de soixante-dix centimètres de large et d'environ deux mètres de long qui faisait office de balcon. La température était plus que douce cette nuit-là. Elle posa sa cigarette au bord du cendrier extérieur et courut ouvrir le frigo pour prendre une canette de cola. D'un pas pressé, elle regagna le balcon pour terminer sa cigarette.

Buvant à même la canette, elle savoura la sensation des bulles qui éclataient sur sa langue. Tandis que les questions tourbillonnaient inlassablement dans son esprit, son regard errait sur la ville qui s'étendait sous ses pieds.

La totalité des hommes qu'elle avait vu au cours de son existence étaient ceux des jeux aux Arènes. Les grands écrans permettaient de bien les distinguer mais en réalité, ils étaient à quatre-vingt mètres des spectatrices, au bas mot. La ville abritait quelques hommes répertoriés mais ils allaient travailler assez tôt et en isolement la plupart du temps. La grande majorité étaient assignés au traitement des déchets ou à des métiers physiques et travaillaient à des dizaines de kilomètres du centre ville. Aucun d'entre eux n'avaient une autorisation de sortie nocturne.


— Allez,ça suffit, se dit-elle en secouant la tête, je vais me coucher aussi.


Elle écrasa son mégot et rentra dans l'appartement. Après avoir refermé les fenêtres, elle se dirigea vers la salle de bains.

Sur un coup de tête, elle fit demi-tour et s'empara de son téléphone portable. Elle le colla sur son poignet et crédita son compte en banque des sept-cent cinquante unités gagnées quelques heures auparavant. Son référent bancaire en aurait sauté de joie s'il avait été capable de manifester une émotion.


— Qu'est ce qui m'échappe ? se demanda-t-elle.


Cette nuit là, la jeune femme fit des rêves étranges. En se réveillant,elle ne cessait de se demander quelle sorte de relation pouvait exister entre sa mystérieuse cliente et l'homme qu'elle recherchait.

Gabrielle avait été élevée par sa mère, comme tout les autres enfants du pays. Elle avait songé elle-même à avoir des enfants un jour mais pour cela, il fallait soumettre sa candidature à la Commission et il n'en était pas question pour le moment. De plus, avoir un enfant impliquait le risque de donner naissance à un fils et tous étaient exilés sans exception à l'âge de douze ans.

La jeune femme se souvenait du départ de son voisin lorsqu'elle était enfant. Elle n'avait que huit ans lorsque ce jour était arrivé. Elle gardait en mémoire l'image de sa propre mère, tenant dans ses bras son amie et voisine, effondrée, genoux au sol, alors que son fils partait rejoindre une colonie. Le garçon avait embrassé sa mère avec tristesse puis avait disparu dans un des véhicules gris qui le transporterait, lui et les autres, vers leur nouveau lieu de résidence.

Sa mère avait pleuré en silence jusqu'à ce que les portes du véhicule se referment derrière les pas de son fils. Ensuite seulement, la femme aux cheveux longs et blonds, perdue dans une longue robe beige foncé, avait laissé libre cours à sa peine. Cette image persistait dans l'esprit de la jeune femme, ainsi que le son déchirant de ses sanglots désespérés.

La voisine était ensuite retournée dans sa maison s'occuper de sa fille, qui ne partirait jamais, elle. Gabrielle appréciait beaucoup Éric, le garçon qui était parti, mais comme le disait sa mère :ainsi allait la vie. Cela se déroulait toujours de la même manière. Aucun homme n'était censé partager notre air, notre terre et ce depuis la crise qu'avait provoqué le virus.

Matriochkas (Sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant