Far And Away

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Allongé dans mon lit, j'ouvris avec difficulté mes yeux collés sur la pièce blanche autour de moi. 158ème jour. Encore ce même rêve. Une fois de plus au matin mes seules réponses furent les néons blafards du plafond et l'odeur insupportable de cette chambre. Mes membres étaient endoloris et tendus comme après une longue nuit agitée. J'aurais aimé des nuits agitées plutôt que ce sommeil imposé à une Morphée insomniaque. Un terrible bourdonnement explosait dans ma tête, je mis du temps à me redresser et à m'asseoir au bord du lit. Mon corps se balançait lentement, au rythme d'une petite chanson de mon invention. D'un geste un peu confus, je plongeai ma main sous mon matelas et sorti un papier jauni et corné que je dépliai avec minutie. Je le posai sur mes genoux avec un sourire doux et retroussai la manche gauche de ma chemise délavée. S'offrit à moi le spectacle répugnant d'une série d'entailles plus ou moins superficielles, le long de mon avant-bras. Regarde comme c'est laid.Tu es laid. Certaines étaient sales, elles mettraient probablement du temps à cicatriser. Peu importe. Avec un ongle j'entrepris de gratter quelques croutes séchées et mes draps virent tomber sur eux de malheureux pétales rouges. Vas y fait toi du mal, tu ne mérites que ça. Qui s'en inquiète au fond ? Je m'appretai à tremper mon ongle dans cette encre dégoutant lorsqu'un cliquetis métallique résonna jusqu'à mes oreilles. Je tirai violemment ma manche et le docteur Rey fit irruption dans ma chambre, la mine grave et fatiguée. La quarantaine, de minces rides incrustées au coins de ses yeux, un air mélancolique et lointain. Il me salua et vint s'assoir à côté de moi. Je lui trouvai un charme indescriptible, une attirance saugrenue, une sorte de syndrome de Stockholm en fait. Très maigre, des yeux gris, un visage tant creusé par le stress et l'angoisse qu'on pourrait le confondre avec un patient, avec moi. Il sentait bon l'eau de Cologne. Je me surpris à lui sourire et il en fit de même.

"Comment te sens tu Sam ?" commença-t-il.

Je sentis mes mains s'alourdirent d'une moiteur honteuse, mon poignet entaillé devenait douloureux.

"Bien"

- Tu en es sûr ?"

Mes balancements devinrent plus rapides, tremblants. L'interrogatoire commence. Il me fallait être souriant, agréable, mieux, moins schizophrène. Il ne doit rien savoir, rien du tout... S'il voit ce que j'ai fait, il sera très en colère. Je n'aurais plus le droit de me raser tout seul, ni de lire ou d'écrire parce que je pourrais utiliser le papier pour me couper. Et surtout il doublerait mon traitement, et je ne ferai plus jamais ce rêve, je n'en connaitrais jamais le sens. Il ne fallait surtout pas qu'il sache... Si, vas-y montre lui ta vraie nature de malade. Non... Ca ne te sert à rien de t'inventer un personnage Sam, tu es le reflet d'un miroir brisé.

- Tu as le droit de ne pas me répondre, je ne t'obligerai pas. Ca ne te derange pas si je te parle un peu ? poursuivit-il.

Je fis non de la tête, faisant taire les voix hurlantes qui se heurtaient aux parois de mon cerveau.

"Je comprends ce que tu ressens, je comprends que tu te sentes mal. Tu as peur, mais nous essayons de t'aider tu le sais. Moi je veux te voir heureux"

Je tournai mes yeux vers lui. Comment pouvait-il comprendre ? Ce n'est pas lui qui est prisonnier d'une chambre immaculée, pas lui qui est derrière des barreaux chimiques, et puis, pourquoi est-ce qu'il voudrait que je sois heureux ? Que suis-je au fond ? Rien. Tu n'es rien. Juste un déchet, et il te fait croire que tu es important. Inutile et naïf. Voilà ce que tu es. Je suis l'ombre de moi-même, un esprit cassé en deux que l'on tente de réparer. Mais peut-être lui aussi l'est il ? La maladie mentale est une mort pour laquelle on ne vous a pas enterré. Vous pouvez marcher, parler, voir, mais vous êtes mort. Vous le savez au plus profond de vous-même, votre esprit détruit est votre cercueil.

"Vous connaissez la statue de L'Homme Debout de Giacometti, docteur ? Dis-je enfin. Quand j'imagine cette statue je pense à vous. Oui je vous vois, je vois cette homme maigre et si fébrile qui pourtant reste debout et qui tente d'aider ceux qui sont plus bas que terre comme moi. Celui qui pourrait être brisé par un souffle de vent mais qui pourtant se veut fort et droit. Il erre à la recherche de lui-même, parmis les cadavres vivants, à quoi bon docteur ?

Il était étonné mais ne le montra pas.

Regarde Sam, il t'ignore, il a l'habitude des fous de ton genre. Tu ne vaux vraiment rien. De grosses larmes se mirent à rouler sur mes joues. Une quinte de sanglots s'échappa de ma gorge, ou un rire, je ne sais plus. Un sourire fendait mon visage, des ruisseaux creusaient mes joues. Rey attendait patiemment, il me fixait sans faillir. Je murmurai un petit "pardonnez-moi...". Sa main effleura la mienne, il la souleva. Horrifié, je l'observai, sans bouger et sans un bruit. Il retroussa ma manche, fit courir ses doigts fins sur mes plaies dégoutantes. Incrédule et fasciné, je sentis une grande chaleur m'envahir et il se rapprocha doucement. Je voulus parler mais il me fit faire silence avec un doigt sur ma bouche, puis y posa ses lèvres.

Ce contact aussi léger fut-il provoqua dans mon coeur et chacun de mes muscles une décharge électrique incroyable. Je lui rendis son baiser. Pour la première fois depuis mon arrivée au centre, je ne me suis pas senti malade psychiatrique. J'étais humain, vivant. Je recouvrai le toucher, la vue, l'ouïe, le simple plaisir d'être embrassé avec toute la douceur du monde. Autour de moi le plafond était devenu ciel bleu, les murs blancasses des champs en friche. Sa main glissa dans mes cheveux, une brise caressa mon crâne. Il doubla d'intensité, raffermissant le contact entre nous. Je plongeai dans des abysses aussi inconnus que plaisants. Je voyais autour de moi toutes les chaines se briser, des antidépresseurs voler en éclats, tous les fantômes s'éteindre. Seule la voix du silence et sa respiration venaientt à mes oreilles. Je sentis ses lèvres contre cou lorsque je basculai à l'horizontale. Mes yeux se fermèrent alors, me sombrant dans le noir le plus profond...

Allongé dans mon lit, j'ouvris avec difficulté mes yeux collés sur la pièce blanche autour de moi. 159ème jour. Encore ce même rêve.

Il fallait que je m'efface une bonne fois pour toutes, que je brise la cage de chair qui entourait mon être mort. Je ne pouvais plus errer dans ce champ de ruines, me nourrissant de rêves oubliés, d'une vie passée d'ayant jamais eut lieu, d'un homme pour qui je ne suis rien. Tu n'as jamais eut lieu toi même, Jason, tu n'es rien. Endors-toi pour toujours Sam. Mes yeux se fermèrent, le sang coula, cherchant une dernière raison, une dernière présence dans l'obscurité.

Ma seule réponse fut une pâle odeur d'Eau de Cologne.

TenchiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant