Une première rencontre
Le métro, c'est ennuyant.
Je le sais : je le prends tous les matins et tous les soirs à la même heure pour aller travailler. En plus à cette période de l'année, c'est toujours bondé. En puis les gens sentent mauvais et essuient leur transpiration sur vous tant on est serrés. Et MON DIEU ce qu'ils s'habillent mal. Personne ne leur a dit qu'on ne met JAMAIS plus d'un accessoire à motif léopard sous peine de passer pour une péripatéticienne-cougar-vulgaire ? Ouuuh, j'en perdrais mes cheveux ! D'accord, d'accord, J'AI choisi de quitter mon trou paumé pour venir vivre à New York. Mais quand même !
Bon, normalement les deux tiers des passagers descendent à cette station. Dommage, moi aussi. Et à tous les coups, ils vont monter dans le même métro que moi. J'habite dans le Bronx, pas très loin du Van Cortlandt Park. Tous les matins, et tous les soirs, je prends la ligne 1 puis change à la station 168 Street pour rejoindre la 86ème. Et évidemment, il y a toujours beaucoup de monde sur la 168ème. Youpi. Heureusement qu'aujourd'hui peu de personnes prennent la ligne A.
J'ai mal aux pieds. Teeeeellement mal aux pieds. Note pour plus tard : arrêter d'être aussi têtue et penser à prendre des chaussures de rechange. PLATES. Sérieusement, il faudrait penser à autoriser les places prioritaires aux jeunes femmes perchées sur des talons aussi hauts. Je rentre dans la catégorie « civils à station debout difficile » vous pensez ? Je ne suis pas un monstre non plus, bien sûr que je vais laisser cette mamie assise sans réclamer sa place (même si sa chemise à fleurs est ignoble). Mais bon... La catégorie « civils à station debout difficile » est AVANT « personnes âgées de plus de 75 ans » dans l'ordre des priorités. Je dis ça, je dis rien...
Aïe, aïe, je souffre.
Bon. Je dois me cramponner à la barre parce que le conducteur s'est pris pour un pilote de formule 1. Allez, plus que huit stations ! Seules trois personnes montent contre six qui descendent. YES !
Oh. Oh ? Oh ! Kécéça ? Cet homme doit être mannequin ! Quoique, vu ses ongles à moitié arrachés et son air bourru, peut-être pas. Mais il devrait ! C'est un crime contre l'humanité de la priver de... ça.
OK, OK Jo, tu te calmes ! Respire ! Un, deux. Un, deux ! J'AI DIT UN DEUX !
Oh, oh, OH ! Il s'approche de moi. Ouais ! Re oh oh oh ! Il sent bon. Il sent bon ! Un cas unique parmi tous ces gens pleins de sueur.
Il ne quitte pas son journal des yeux (qui lit encore ces trucs ?), et quand il attrape la barre, sa main touche la mienne. Héhé ! Oui, bon, je suis un cas désespéré. Il lève les yeux vers moi et s'excuse. Mais il replonge directement dans sa lecture. POURQUOI ? Je veux dire, j'ai passé beaucoup de temps ce matin à me faire belle, il pourrait me prêter UN PEU PLUS d'attention, non ?
Un, deux. Un, deux.
Je dois lui parler. Je le DOIS. Est-ce qu'il prend souvent cette ligne ? Je ne l'ai jamais croisé, mais d'habitude je pars plus tard. J'ai décidé de me reprendre en main. Ma première bonne résolution : ne plus arriver en retard au boulot, ou en nage parce que j'aurais couru avec des talons aiguilles sous le caniar. Ouaiiis juillet c'est un peu tard pour les bonnes résolutions, je sais. L'important c'est d'en prendre et de s'y tenir, non ? Non parce que là j'ai trouvé un très bon argument pour prendre le métro à cette heure à partir d'aujourd'hui.
Je me fais peur des fois. C'est juste un mec. Ouais mais quel mec ! Oui bon, d'accord. Il est canon. Super canon. Hyper-méga-archi-beaucoup-trop-canon. Plus vieux que moi, c'est sûr. Je n'arrive pas à lui donner d'âge parce qu'il tire la tronche (comme tous les New Yorkais, d'après une étude poussée menée par... moi-même) et est en costume (ce qui vieilli toujours, non ?). Et il lit le journal.
« 86 Street »
Quoi, DEJA ?! Non, c'est pas vrai... Je suis pitoyable au point d'avoir dévisagé un inconnu - sexy mais inconnu - pendant HUIT stations ? Il est VRAIMENT temps que j'aille voir ces médecins en asile dont me parlait June. Même si elle disait ça pour plaisanter. Peut-être.
Il faut que je trouve quelque chose à lui dire, vite, viiiiite ! Le métro s'arrête déjà. Les portes vont bientôt s'ouvrir... Adieu bel inconnu. Allez petit cerveau, rends-toi utile pour une fois !
- Vous devriez mettre une chemise bleue, ça irait mieux avec votre teint pâle et vos yeux.
Lesdits yeux s'agrandissent tandis qu'il me regarde, plus qu'étonné. C'était du grand Jo ça. Je suis déjà sur le quai. Je me retourne et il me regarde toujours, avec cet air ahuri. Je me mords l'intérieur de la joue. Si seulement il était là demain matin !

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L'inconnu de la ligne A
RomanceLe métro c'est ennuyant. Je le sais : je le prends tous les matins et tous les soirs à la même heure pour aller travailler. La ligne 1, puis la ligne A, un train-train quotidien, monotone et routinier. Sauf que ce matin j'ai croisé la personne qui p...