Faiblesse

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Jamais elle n'avait été aussi belle. Ce soir-là, elle avait rayonné. Invités, hôtes, ont avait chuchoté à son passage, les yeux plongeant dans son dos nu. Elle s'était surpassée. Elle le savait. Souriante, elle savait qu'elle était belle et, remuant le bas de sa scintillante robe, elle avait posé ses yeux conquérants sur la salle. Elle lui appartenait, on ne voyait plus qu'elle. Elle était la réception.

Arrêtant leur service un instant, les serveurs s'étaient interrogés du regard ; Qui était-elle ? Chacun portait en soit les espoirs les plus fous. On se redressait, on se recoiffait et soudain on affichait un nouveau sourire. Ca chuchotait encore, les oreilles vibraient d'informations ; Mais qui était-elle ? Qui était-elle.

Derrière un couple dont l'homme jetait quelques coups d'œil quand sa compagne baissait les siens, Enée observait lui aussi. Dos appuyé au mur, tête droite, les yeux fixés vers cette jeune femme. Elle s'était surpassée, et traversant les groupes de sa démarche chaloupée elle savourait son succès d'un sourire certain. Lui seul pouvait le voir ce sourire, lui seul pouvait le comprendre, et ce n'était pas un de ces sourires facile à déchiffrer. Oh ! non. Elle-même était un mystère. Mais Enée se savait proche du but, il la comprendrait bientôt entièrement, et elle le savait aussi.

Elle n'avait jamais tant montré sa beauté, ensorcelante. Charmante et funèbre. Elle en jouait de cette beauté, elle en jouait... Enée en était presque agacé, presque jaloux. Comment pouvait-elle la dévoiler ainsi quand il avait mis si longtemps à la découvrir ? Quand il s'était acharné à la suivre et la comprendre, sacrifiant tant, tant de choses dans cet unique désir. Laissant presque tout, tout derrière lui. Comment pouvait-elle ? Il se sentait ridicule, c'était la pire des attaques qu'elle aurait pu lui faire. La pire des insultes. Cette créature avait dégainé son arme ultime. Etait-ce la fin ?

Enée baissa les yeux, troublé et blessé, le couple devant lui commença à se disputer. Pourquoi ?! Pourquoi la regardes-tu ? Pourquoi ne peux-tu pas t'en empêcher ? Regarde-moi ! Regarde-moi ... L'homme ne regardait plus. Pourquoi la préfères-tu à moi ? Réponds ! Réponds ! Elle n'est pas réelle ! Elle ne peut pas... Ne me quitte pas je t'en prie... Enée réprima un violent sanglot. Ces paroles résonnèrent dans sa tête et les échos vinrent frapper son cœur. Il les connaissait déjà ces paroles, il les avait bien entendues...

En portant la main à sa bouche pour bloquer le son des sanglots, il avait relevé les yeux et dirigé son regard vers la silhouette envoutante qui s'était arrêtée au milieu de la salle. Elle tournait son beau visage pour poser ses pupilles d'ambre sur lui. Un sourire vainqueur prenait ses lèvres. Enée déglutit. Il n'avait pas perdu ! Pas maintenant ! Son alliance lui serait soudain l'annulaire au point de lui faire mal.

Regarde-moi ! Je t'en supplie de fait plus ça ! Ne fais plus... Rentrons à la maison, tu veux ?

Le couple avait arrêté de se disputer depuis déjà quelques minutes.

Enée, on peut, on peut t'aider, pas vrai ? Pas vrai ?! Non, ne me lâche pas des yeux ! Ne me quitte pas, tu ne peux pas !

L'alliance le brûlait.

La jeune femme souriait fièrement. Charmante et funèbre. Elle avait gagné. Mais Enée retint une larme et ne put que l'aimer d'avantage. Cette belle, belle enfant. A la fleur de l'âge, cette jeune femme encore un peu jeune fille. C'était une sirène au chant si beau, si diabolique, si attirant. On aurait voulu la suivre jusqu'au bout du monde, cette fausse innocence. Et Enée l'avait suivie, il l'avait même traquée sans relâche. Mais fière, c'était lui qu'elle avait fait proie. Il n'était plus qu'un esclave. Il était enchainé. Et croyant la gagner il ne l'avait jamais eue. Croyant la connaître il s'y était perdu. Dans cette quête inutile qu'était devenue sa vie, il s'était empourpré, et il s'y étouffait à présent.

Suffoquant, Enée suivit des yeux la jeune femme venir à lui. Ses anches, caressées pas ses bras, semblait emprisonnées entre les tissus de sa robe. On entendait le bruit de ses chaussures. Toc, toc, toc, les talons claquaient et ses cheveux, au rythme de sa marche, tombaient comme des cascades sur ses épaules nues. Femme hypnotique au sourire trompeur. La lune s'était accrochée à ses yeux.

Parvenue devant lui. Elle eut un rire léger. Puis, elle parla.

« Tu es bien trop faible. »

Enée sourit aussi, car il avait compris. Alors il disparut.

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Enée ouvrit les yeux et alors, même la lumière de son réveil lui fit mal. Il se rassit correctement en redressant difficilement sa tête renversée en arrière. Son casque, dont la visière s'était relevée toute seule, lui compressait le crâne. Alors Enée l'enleva de sa tête et le posa devant lui, sur son bureau.

Enée vit qu'il avait mal. Plus à son alliance, puisqu'il n'en avait plus depuis déjà deux ans, non, il avait mal au cœur. Ça lui pesait sur la poitrine comme une enclume, et il savait que cette douleur ne se calmait jamais. Il ne le savait que trop bien... C'était la solitude, c'était la tristesse et c'était les regrets. C'était l'amertume et la détresse, c'était surtout l'invivable. C'était son existence toute entière qui lui pesait sur le cœur. Car la vie lui était insupportable.

Enée regarda le casque et pensa que même ça lui était dorénavant trop dur à porter. Même cette univers entièrement fictionnelle, même cette femme pour qui il avait quitté la sienne, même ça lui était accablant.

Enée sourit car il était las. Il était las de tout cela. La vie, réelle ou non – et qu'elle différence au final ?-, était un enfer. Mais pourquoi ? Pourquoi tant de milliards de personnes arrivaient-elles à mener leur existence quand lui ne supportait plus même de se savoir au milieu d'eux ?

Renversant à nouveau sa tête en arrière, Enée rit amèrement. Sa résignation et sa détresse vinrent se mélanger à des larmes sillonnant ses joues pâles.

« Suis-je si faible ? Gémit-il. Seigneur, suis si misérable ?»


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⏰ Dernière mise à jour : Jun 07, 2016 ⏰

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