La forêt interdite

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Je suis donc en route pour l'autre bout de mon monde. Même si nous avons préféré nous éloigner de la technologie car elle nous envahissait, nous y allons en avion, sinon ça serait trop long. Par contre, je devrai rentrer à pied. Selon la tradition des Puissants, tout individu suspecté d'être un Puissant se doit, à son 14e anniversaire, se rendre à l'endroit de la planète le plus éloigné de sa tribu. S'il veut devenir un grand Puissant et vivre dans sa véritable communauté, il doit se rendre à l'Arbre Vénérable. C'est sur l'arbre que vivent les derniers descendants des Puissants. Ce végétal se déplace constamment et est donc nomade.
Les chefs de ma tribu, celle du désert de Nafle, me conduisent à la forêt interdite, qui couvre la partie de la Grande Obscurité qui n'a pas encore été explorée. C'est comprenable que la forêt soit inconnue des cartes du monde. Les tribus logeant près des arbres noirs de la forêt interdite connaissent nombre de contes effroyables portant sur celle-ci. La plupart racontent l'histoire de héros qui y ont perdu la vie. D'autres légendes stipulent l'existence de créatures immondes, inimaginables, bienveillantes, ayant de mauvaises intentions ou carrément assoiffées de sang. En tout cas, peu de personnes en sont revenues.
À vrai dire... Personne n'a encore réussi à la traverser.

Le centre de cette forêt se trouve exactement à l'opposé de notre territoire sur le globe. Une coïncidence un peu étrange... D'ailleurs, plusieurs habitants du désert de Nafle ont transformé cette coïncidence en récits complètement invraisemblables. Peut-être, à bien y réfléchir, que quitter ma tribu est pour le mieux...
Nous sommes presque arrivés et vue d'ici, la forêt synonyme d'obscurité semble plus noire et plus inquiétante que jamais. Après un trajet aussi long que sans histoires, l'avion atterrit directement dans la forêt, dans une clairière dégagée. Les membres de ma tribu faisant partie du voyage me remettent un sac de fournitures pour mon périple. Ils s'en vont sans m'adresser un seul mot. Quand je les vois partir, je suis désemparé. Abandonné à moi même.
Je jette un bref coup d'œil aux arbres d'un noir de jais autour de moi. Je commence à marcher, motivé par seulement une petite part de moi-même.
Je ne cesse de trébucher sur des roches ou des branches mortes. Même avec ma vue que les membres de ma tribu considèrent comme d'une grande précision, j'ai de la difficulté à voir quelques mètres devant moi.
J'entends un bruit bizzare. Peut-être un animal. Il vaudrait mieux installer mon camp pour me reposer. Ça devrait être facile car la lumière est rare dans la nature. La seule source de lumière, si on peut la qualifier de lumière, est la Lune. Depuis la nuit des temps, pour mieux nous diriger dans l'obscurité, nos yeux sont jaunes et nos pupilles verticales. Nous sommes également de petite taille, en moyenne un mètre vingt.

Bon. Il faudrait vraiment que j'installe mon campement. La lune est bien haut dans le ciel parsemé d'étoiles, ce qui annonce que le moment de dormir arrive. Oups. Je suis dans une partie de la forêt extrêmement dense. Mes yeux n'arrangent rien pour trouver l'endroit idéal où dormir. Et impossible de retrouver la clairière où l'avion a atterri. Je me suis trop éloigné de celle-ci, c'est certain.
Bon. C'est pas si grave. Je n'ai qu'à dénicher un arbre grand et de taille massive. Je n'aurais qu'à y grimper. Et m'installer en haut.
Plus facile à dire qu'à faire. Dans cette maudite forêt, il n'existe que des arbres lisses, étroits et particulièrement hauts.

Je fais donc une courte randonnée (mon œil...) dans la forêt pour me repérer. Je vois des lacs d'une eau noire et scintillante, de gigantesques crapauds qui sont d'un violet extrêmement foncé, des plantes de toutes sortes dont la plupart sont carrément étranges. Certaines sont pourvues d'yeux, d'autres de ventouses suçant des petits animaux attrapés durant leur chasse. D'autres encore plus tordues projettent d'énormes fusées végétales dans l'air, pour une quelconque raison. Je ne vois pas grand chose d'autre, mes yeux me faisant défaut trop souvent.

Au bout d'une ou deux heures de marche, je trouve l'arbre idéal pour dormir. Un tronc massif, large et au feuillage dense. Parfait. Je grimpe. Le lichen humide ajouté à la mousse de l'écorce rends l'ascension plus facile. En deux temps trois mouvements, je me retrouve au sommet et ainsi sur la canopée de la forêt, à la belle étoile.

Je regarde ce que les gens de ma tribu m'ont donné comme matériel de survie. De la nourriture pour au moins deux semaines et... C'est tout. Oh mais quels salauds! Ils n'ont même pas mis autre chose! Ce n'est pas de ma faute si je suis né avec du sang de Puissant en moi! Mais peu importe. Je me prends deux gros morceaux de marmotte grillée dans mon sac. Je les grignotes lentement, avant d'aller me chercher de l'eau dans un des lacs environnants. Je la bois goulûment. Elle a un goût agréable de sapin.

Je remonte dans l'arbre et me fabrique une couchette improvisée. Un bref coup d'œil au ciel noir et rempli d'étoiles scintillantes. Je m'allonge, puis tombe aussitôt dans les bras de Morphée.

Midnight Où les histoires vivent. Découvrez maintenant