Chapitre 1 L'Arche Blanche

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« Mince, je suis où, là ? »

Étan Solazur venait de descendre du métro à l’embouchure de deux stations et n’arrivait déjà plus à se repérer. La ville d’Artor n’était pas immense, mais son réseau de transport intégralement souterrain, regorgeait de destinations. Des escaliers s’entrelaçaient dans un périmètre réduit, et des couloirs plongés dans la pénombre zigzaguaient parfois sur des dizaines de mètres avant d’atteindre un point de lumière.

   Le jeune homme ne savait plus où aller; et surtout, il sentait sa maîtresse l’angoisse escalader ses jambes flageolantes. Il prit une longue aspiration et revint sur ses pas, malgré l’apparition de personnes pressées par le temps. Il évita la moitié du groupe et alors qu’il se croyait tiré d’affaire, un sac surgit en traître derrière une dame de belle grosseur, avec une âpreté telle, qu’une jolie égratignure virilisa sa joue.

   Quelques secondes plus tard, les voies de métro étincelèrent dans la pâle clarté, et un vent fou bouscula la tignasse sombre d’Étan. Quelques poussières mordorées assaillirent méchamment ses yeux bleus, lui arrachant quelques larmes brûlantes. Sel et plaie s’allient toujours dans la souffrance.

   Étan arbora une grimace surélevée de bien belle manière sur la droite, puis découvrit enfin son plan entre deux escaliers intermédiaires et une bonne vingtaine de flèches de signalisation. 

   Cependant, son cerveau était surchargé par un flot d’informations. Déjà, il y avait ces centaines de visages inconnus et moroses qui se bousculaient à la sortie des wagons tels des masques terrifiants. Le sol était ébranlé par le passage de la foule enragée. On jouait des épaules, des bras et des jambes à une allure fantasque, enfantine et on se précipitait dans les passages étroits après un instant de flottement.

   Étan avait l’impression d’être en présence d’automates à l’esprit embrumé. Ces gens connaissaient leur chemin avec une telle perfection qu’ils auraient pu faire un marathon à travers ce labyrinthe, les yeux fermés, et même y organiser des rencontres sportives. Une nouvelle discipline olympique serait née, avec au moins trois épreuves : le passage en force à travers les corridors étranglés à la sortie du métro, l‘esquive de la foule au milieu des marches et pour finir, un sprint jusqu’à la surface.

   Le jeune homme nageait en plein inconnu. Son cœur battait la chamade. Avait-il donc peur de la foule ? Il devait se calmer; respirer, trouver son rythme et s’engager sur les traces de l’harmonie. Il repoussa les vagues furieuses d’informations que lui transmettaient ses sens surchargés et focalisa ses pensées sur le plan face à lui. Il découvrit aussitôt le « vous êtes ici » encerclé de rouge. Il pencha la tête et suivit de l’index la ligne bleue jusqu’à la bonne sortie : le Campus Pré d’Artor.  Enfin, il avait trouvé !

   Il mémorisa le chemin. Il ne se perdrait pas une nouvelle fois dans le dédale. En même temps qu’il adoptait un pas de course à travers les couloirs tortueux et poussiéreux, il révisa une leçon d’histoire récente.

   Artor n’avait pas toujours été une ville aussi vivante et paisible. Quelques décennies plus tôt, le crime régnait jusque dans les cimetières. Pour des raisons futiles, des gangs s’affrontaient sur les grandes places à coups de barre de fer, de battes et d‘armes à feu. Les citoyens se barricadaient la nuit comme le jour, et ne quittaient guère la sécurité de leur habitat.

   Le matin, ils partaient au travail la peur aux lèvres, et n’adressaient guère la parole à leurs collègues. Le soir, ils revenaient, à l’affût, telles des proies chassées dans des bois touffus, et ne soufflaient qu’une fois le verrou de leur porte enclenché. Et encore, certains allaient même jusqu’à fermer les volets, et contrôler une vingtaine de fois chaque ouverture.

Incarnation - Songe MartialOù les histoires vivent. Découvrez maintenant