Mais qu'avait le chien de mon voisin ! Il n'arrêtait pas d'aboyer depuis quelques minutes. Pourtant celui-ci était plutôt calme d'habitude, tout comme son propriétaire. Depuis trois mois qu'ils avaient emménagé, je les croisais régulièrement dans les escaliers. Je suppose que lui aussi n'aimait pas prendre l'ascenseur, à moins qu'il ne profite de la montée des cinq étages pour garder la ligne. Que savais-je de lui ? Pas grand-chose ! Déjà, son nom et prénom apposés sur la boîte aux lettres juste à côté de la mienne : Timothée Prieur. Qu'il était poli et discret, car il me saluait toujours d'un timide hochement de tête et d'un petit sourire avant de continuer son chemin. Je crois bien que je n'ai jamais entendu le son de sa voix ni vu la couleur de ses yeux. Aurais-je été capable de le décrire ? Oui. Il était plus jeune de quelques années, peut-être quatre ou cinq ans. On ne faisait pas la même taille, avec mon mètre quatre-vingt-dix, je le dépassais d'au moins vingt centimètres. J'étais du genre massif taillé à grand coup de serpe, comme disait ma mère. Lui, c'était tout l'inverse, il possédait une silhouette fine et longiligne presque aérienne. Il paraissait plus fluet, sûrement à cause de la posture effacée qu'il arborait, comme s'il se cachait des gens. S'il avait été une femme, je l'aurais décrit comme une petite souris grise presque invisible et perdue dans la grande ville. Tout le contraire de son compagnon canin qui était sociable et amical. L'un contrebalançait l'autre.
C'était drôle, parce que je visualisais mieux son ami à quatre pattes. Ce chien ne ressemblait vraiment à rien. Un royal bâtard croisé de labrador et boxer peut-être. En tout cas, il n'était pas beau avec ses oreilles et ses babines pendantes malgré un corps musclé et sec mis en valeur par une robe bringée, marron rayé de noir comme un tigre. Il aurait pu faire peur s'il n'avait eu cette bonne gueule, ce regard chocolat, sombre et doux à la fois, qui appelait les caresses. Ce que je faisais volontiers, lui flattant le haut de sa tête à chaque fois qu'il m'approchait. J'aimais la sensation de ses poils courts contre ma paume. Victor Hugo avait bien raison « le chien a son sourire dans sa queue », alors elle se mettait à battre de manière régulière, signe de son plaisir. J'appréciais ce petit geste quasi quotidien, car je ne pouvais avoir d'animaux chez moi, c'était interdit dans mon bail. Et ça me manquait depuis que j'étais revenu vivre en appartement suite à mon divorce.
Vraiment, depuis leur arrivée, je n'avais pas eu à me plaindre. Jamais de musique tonitruante, de télévision hurlante, de claquement de porte, de hurlement bestial, de visite tardive et bruyante, de fille vautrée sur le paillasson éméchée ou droguée. Tout le contraire de l'ancien locataire qui avait fini par être expulsé pour cause de loyers impayés, d'après le concierge. Pour un jeune homme, il était plutôt effacé. Parfois j'en venais même à me demander s'il habitait bien toujours le même palier que moi. C'était une perle de discrétion, le petit nouveau de l'immeuble. Oui, mon voisin avait tout de la petite souris grise, cette description lui allait bien.
Merde, le chien continuait d'aboyer, mais maintenant il entrecoupait le tout de plaintes plus sourdes entre chaque série. Ce n'était pas normal ! Je quittai mon salon et finis par pousser la porte de mon appartement pour frapper à celle d'en face afin de réclamer des explications. Je cognai de nouveau contre l'huis, mais personne ne semblait réagir. Je n'entendis que les bruits des griffes du chien sur le parquet. Son maître l'avait-il laissé seul dans le logement ? Je n'y croyais pas, l'animal semblait être l'ombre permanente du jeune homme. Il dormait peut-être ? J'utilisai la sonnette. Toujours pas de réaction, quoique je n'avais entendu qu'une faible sonnerie. Elle était peut-être détraquée ? Je toquai de nouveau plus fortement à la porte. Aucune réaction à part les gémissements plaintifs du chien derrière la porte. Je n'aimais pas ce ton suppliant. Il se passait quelque chose de grave, j'en étais sûr. Mauvais pressentiment. J'essayai d'ouvrir la porte en espérant qu'elle n'était pas fermée, mais rien à faire. Je ne sais pourquoi, je me mis à parler au chien à travers le bois.

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Des cœurs aux abois
RomanceParfois, il faut être acculé pour admettre ce que l'on est vraiment et laisser parler son cœur. C'est la dure leçon qu'apprendra William Faure en faisant connaissance des voisins qui viennent de s'installer dans l'appartement en face de chez lui. Il...