Antéros

Prologue

« Alors, tu viens ?

- Oui, Lucy, j'arrive.

- Ça va être énorme ! Même si je suis triste que Kim s'en aille. »

La jeune femme brune, qui avait passé la tête par l'entrebâillement de la porte, s'engouffra entièrement dans mon bureau, tapant des mains et pépiant joyeusement tandis que je termine quelques manœuvres sur mon ordinateur. Il faut que je sauvegarde encore quelques documents et j'en ai terminé pour aujourd'hui.

Lucy tournoie d'un bout à l'autre de la pièce, inspectant au passage les dossiers qui traînent, en jetant des regards frénétiques à la pendule, comme si nous risquions de rater quelque chose.

« J'ai terminé !

- Enfin ! Allez Jo, viens, ils vont nous attendre. »

J'éteins mon ordinateur et attrape mon portable avant de le jeter dans mon sac tout en suivant Lucy dans le couloir. Elle se dirige déjà vers l'ascenseur alors que je bataille avec mon trousseau de clef pour fermer mon bureau. Je rattrape mon amie qui balance nonchalamment son sac sur l'épaule, un œil vissé à sa montre pour vérifier l'heure, tandis que je me passe une main dans mes cheveux roux pour tenter de les recoiffer.

« Il va me manquer, quand même, je soupire alors que nous arrivions devant l'ascenseur

- À moi aussi... C'est toujours dur de perdre un aussi bon collègue, et ami ! Mais bon, l'appel de l'amour, tu comprends... »

En effet, nous devons retrouver le reste de nos collègues pour une dernière soirée en l'honneur de l'un d'eux, Kim McLeod, qui déménage à Seattle pour se rapprocher de la famille de sa femme, avant la naissance de leur premier enfant. L'homme, qui devait avoir trente-cinq ans, était très apprécié autant pour son travail efficace et soigné que pour son sens de l'humour et de camaraderie dont pratiquement toute l'entreprise avait pu bénéficier au cours de ces sept ans de travail à Lewis corporation. L'annonce de son départ n'avait pas été une surprise mais n'en était pas moins triste, même si nous savions tous qu'il s'épanouirait beaucoup plus sur la côte Ouest, où son enfant pourrait connaître ses grands-parents.

Une fois en dehors du grand bâtiment moderne qui abritait les locaux de l'entreprise, je plissr les yeux ; on avait beau n'être qu'en mai, les températures atteignaient souvent plus de vingt-cinq degrés et le soleil éclairait toujours vivement Boston en ce début de soirée.

Soudain, une pensée me traverse l'esprit et je me tourne vers Lucy ;

« En parlant d'amour, tu ne devais pas voir Frank ce soir ? »

Elle fait la moue en jouant nerveusement avec une des mèches sombres qui s'échappent de son chignon. J'ai appris à connaître Lucy ces derniers mois, et je sais que ce geste est le signe que quelque chose la tracasse. Cela peut aller d'une coquille dans un dossier à un rencard foireux en passant par des problèmes parfois plus graves.

« Je sais pas trop quoi penser de lui... J'aime bien le temps qu'on passe ensemble, commence-t-elle sur le ton de l'aveu, mais je ressens pas... Tu sais, le truc. On se marre bien, on couche ensemble, mais ça s'arrête là. C'est un bon pote avait qui je couche. »

Un autre truc que j'ai appris ces derniers temps avec Lucy ; sa vie sentimentale est globalement mouvementée. Elle aime côtoyer des hommes, flirter et même avoir des histoires sans lendemain, autant qu'elle a envie de trouver l'amour et de s'épanouir pour de bon dans une relation. Elle sait se mettre en valeur et n'a pas peur d'aborder les mecs, mais très peu passe le stade des premiers rendez-vous. Quand elle sent qu'elle n'accroche pas, elle préfère arrêter là plutôt que de se lancer dans une histoire où ni elle ni son amant ne seraient heureux.