IV

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J'ai tout juste le temps de boucler le dernier dossier que je voulais traiter quand Lucy débarqua frénétiquement dans mon bureau après avoir toqué deux fois à la porte.

« Viens vite ! »

Elle m'attrape le poignet et se précipite dans le couloir, me trainant presque derrière elle, ses cheveux bruns, aujourd'hui partiellement lâchés dans une coiffure qui semble à première vue simple mais que je suis sûrement incapable d'exécuter, virevoltant dans son sillage. Elle s'immobilise si brusquement que je manque de la percuter et elle me désigne deux hommes au bout du couloir, non loin du bureau de Maxwell.

« Le nouveau ! »

Je plisse les yeux. En effet, un des hommes grand blond, rasé de près et portant un costume gris foncé n'est autre que monsieur Johnson, le manager. Quant à l'homme à qu'il est en train de serrer la main et avec qu'il paraît plaisanter, il m'est totalement inconnu. Il fait la même taille que monsieur Johnson, mais est aussi brun que Lucy. Sa peau semble légèrement hâlée, comme s'il revenait tout juste de vacances à l'étranger. D'ici, je ne peux pas distinguer ses traits mais sa posture dégage une certaine assurance qui me fait dire que c'était loin d'être son premier emploi ici. Il porte une chemise blanche et une cravate simple, légèrement dénouée et un pantalon noir tout ce qu'il y a de plus basique.

« Dommage que je ne pécho pas dans la boîte ! plaisante Lucy, il a l'air charmant !

- Tu viens de quitter Frank...

- Justement, rien de mieux pour oublier une petite déception que de se remettre en selle ! Mais bon, jamais au travail. »

Encore une chose concernant Lucy ; elle ne mélange jamais sa vie privée et son boulot. Tout d'abord parce qu'elle n'a pas envie que ses histoires de coucheries se répandent dans la boîte comme une traînée de poudre, et également parce que pour elle le travail et la bonne entente entre les collègues restent primordiaux pour l'entreprise. De plus, elle a du se battre pour faire ses preuves, souvent peu prise au sérieux par ses collègues à première vue. Elle prend un malin plaisir à prouver aux hommes qu'elle peut être une femme fatale mais également redoutable en affaires, et pour l'instant le pari est gagné. Elle est très respectée par nos collègues, et même crainte en ce qui concernant le business. À mon arrivée à Lewis corporation, elle m'a confié au cours d'un repas comment elle avait gravi les échelons du respect auprès de la gente masculine.

« Te laisse pas bouffer Jo. Malheureusement, être une femme dans ce boulot et dans un autre, c'est partir avec un handicap. À croire qu'avoir des seins et rien dans le froc te fait perdre une certaine crédibilité et te rend moins importante que nos collègues équipés... Si tu laisses l'image de gentille ingénue te coller à la peau, tu finiras par croire toi-même que tu vaux moins bien qu'eux simplement parce que t'es une femme. Impose-toi dès le début ! »

Ses paroles me reviennent en mémoire et je coule un regard discret vers mon amie. Une chose est sûre, elle est parvenue à ses fins ! Elle porte une tenue simple mais élégante, qui met en valeur sa féminité, mais comme toujours, son regard de biche contraste en débordant de défi et d'assurance. Elle aborde presque toujours cet air quand il s'agit de travail (et de conquêtes !), mais son regard peut être aussi tellement compatissant et réconfortant en cas de coups durs. Ça ne m'étonne pas que les hommes fassent la queue pour lui offrir un verre, les femmes qui ont confiance en elles dégagent un quelque chose qui les rendent irrésistibles !

« Hé ! Il t'appelle ! »

Tirée de mes pensées, je me sentis rougir alors que mon amie me désigne Maxwell du regard. En effet, je le vis me faire un petit signe de la main, m'invitant à le rejoindre dans son bureau. Encore plus gênée d'avoir été surprise dans la lune, je me hâte de le rejoindre en rappelant à Lucy notre sortie du soir.

« Désolée monsieur Johnson... » m'entendis-je murmurer en pénétrant dans son bureau.

Je me fige en remarquant que l'homme du couloir se trouve également là. Son regard clair était braqué sur moi et je ne peux m'empêcher de détourner les yeux vers mon manager. Je n'ai pas été préparée à ça, oups...

« Aucun problème Johanna, il n'est même pas encore quinze heures, mais tant que vous étiez là je me suis dit que c'était l'occasion de vous parler du fameux projet. Tout d'abord, laissez-moi vous présenter notre nouvel arrivant ; Liam Reed. Liam, je te présente Johanna Foster, notre jeune recrue de l'Université de Boston qui travaille avec nous depuis six mois. »

Je me suis de nouveau tournée vers Liam pendant le discours d'introduction de mon manager, et je vois son regard se durcir brusquement lorsque Maxwell évoqua mon parcours. Un peu déboussolée, je lui adresse un timide sourire auquel il répond par un petit signe de tête avant de reporter son attention sur le chef. Ah, sympa.

« ... Travailler tous les deux sur ce dossier... »

Comment ?!

Je tente de rattraper le coche, pour vérifier que j'ai bien compris.

« Voici les documents en question, me dit Maxwell en me tendant un tas de feuilles que je failli répandre sur le sol au moment de le récupérer, vous avez des questions ? »

Je fais bêtement non de la tête, sentant le rouge me monter aux joues. J'ai chaud et j'ai très envie de quitter ce bureau où chaque seconde me met de plus en plus mal à l'aise. Je vais enfin travailler sur un cas de groupe, un cas important confié par Johnson et il faut que je sois dans la lune au moment où il nous donne les directives. En plus, la froideur qui émane de mon collègue me donne tout sauf envie de me pencher avec lui sur ce cas.

« Tu veux que je te présente le reste de l'équipe ?

- Non, ne t'embête pas Max. Je connais la maison. Il faut que je m'occupe l'esprit.

- Très bien alors ! Jo, je suis sûre que ce sera très enrichissant pour vous. »

Je me sens rougir encore plus. D'abord il le tutoie, ensuite il me paterne... J'ai l'impression d'être revenue au stade de stagiaire idiote qu'on met dans les pattes d'un employé qui a bien d'autres choses à faire que de s'occuper de ça.

Reed et Maxwell échangent encore quelques mots pendant que je tente de lire en travers les grandes lignes du dossier. Les deux hommes se serrent la main et c'est le signal ; je quitte le bureau en saluant mon chef, sentant la présence glaciale de Reed dans mon dos.

« Je vais prendre ça, commence-t-il en m'enlevant une partie des feuilles, vous pouvez commencer à traiter cette partie. On fait le point à dix-sept heures trente. »

AntérosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant