Nouvelles

Un souffle de vie.

Il n'a jamais dit à personne ce qu'il avait vu ce soir-là, en marchant vers Compostelle.
Il n'a jamais pu. Sa bouche est restée scellée jusqu'à son dernier souffle.
Mais, au fond d'un vieux tiroir, celui de sa table de chevet, se trouvait une lettre. Je crois qu'il avait essayé de la brûler car, sur le bas de la page, le papier était craquelé, noirci par le feu. Mais pour une raison qui m'est inconnue, il ne l'a pas détruite.

Cela fait trois jours que je l'ai découverte, trois longs jours où je ne peux me résoudre à jeter ne serait-ce qu'un œil sur le papier. Je sais juste qu'il est noirci d'encre, une encre plus noire que la nuit.
En rentrant de mon travail, j'y pense toujours. En me douchant, j'y pense toujours. En mangeant, j'y pense toujours. À 22h je n'y tiens plus, je m'empare avec empressement du vieux morceau de papier. Je me dirige vers le salon, là où je serai le plus à l'aise pour découvrir les secrets qu'il renferme. Je m'installe confortablement dans le gros fauteuil usé en cuir marron dont se sont servis trois générations de ma famille. J'allume une petite lampe posée sur le meuble derrière moi, on ne voit plus rien depuis un bon bout de temps en cette saison froide. La neige a depuis longtemps envahi les rues, le gel glacé nos fenêtres, le froid gagné nos maisons et je vois les flocons tomber par milliers dehors, à la lueur des quelques lampadaires qui éclairent ma rue, telles de petites étoiles. Mes pieds maintenant frigorifiés me ramènent à la réalité, je les pose sur la table basse en chêne noir, ils sont dirigés vers le foyer où brûlent quatre ou cinq bûches. Les flammes projettent des ombres sur les murs, donnant un aspect envoûtant et mystérieux à la pièce. J'installe aussi un grand plaid duveteux le long de mes jambes. Maintenant je suis près.

Les feuilles dans les mains, je commence ma lecture. Les mots défilent devant mes yeux et ...

« Cher moi-même,

Il y a maintenant une semaine, quelque chose d'extraordinaire s'est déroulé devant mes yeux, quelque chose d'absolument irréel. Je ne peux le révéler à personne, l'humanité n'est pas encore prête, mais ce que j'ai vu me ronge, me détruit de l'intérieur. Je ne peux plus le garder pour moi, il faut que je le dise, il faut que cela sorte. J'ai choisi l'écriture : demain, ce bout de papier ne sera que cendres. Je ne peux courir le risque qu'il tombe entre de mauvaises mains.

Voici donc mon récit :

C'était le crépuscule, le soleil projetait encore quelques rayons chatoyants sur les pavés de pierre qui longeaient la cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle. Le chemin était désert, j'étais, me semblait-il, seul au monde. Je m'arrêtai un instant pour contempler le coucher du soleil laissant place à la nuit.
Tout à coup, j'entendis un curieux bruit derrière moi. Je me retournai vivement et fus ébloui par un éclat de lumière. Quand je rouvris les yeux, je ne pus croire à ce que je voyais. Un être humain était entrain de traverser le mur de la cathédrale pour se retrouver dehors pas moins de deux secondes plus tard. Il se tenait à quelques pas de moi mais ne semblait pas me voir, absorbé par la contemplation du paysage. Il brillait d'une lumière éblouissante. Je crus même apercevoir une auréole dorée au-dessus de sa tête.
Etait-ce un rêve ?
Il portait une robe d'un blanc éclatant. Soudain se déployèrent deux splendides et gigantesques ailes que je n'avais jusqu'alors pas vues car elles se confondaient avec son vêtement.

Ce qui me semblait être un ange s'envola. Ne pouvant m'arrêter là, je le suivis en courant à travers les rues de Compostelle, gardant un œil sur la route, l'autre dans le ciel. Ce manège ne dura pas longtemps ; au bout de quelques minutes, je le vis traverser aussi facilement que tout à l'heure la fenêtre d'un hôpital d'où sortaient des plaintes qui auraient glacé le sang au plus valeureux des hommes.
Subitement, une vive lumière blanche et pure inonda la pièce.
Les cris cessèrent. Et j'entendis, malgré la distance, la respiration du patient se calmer jusqu'à devenir celle d'un enfant qui dort.