1 - Oak

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   Dans ce monde à l'envers, il y avait un hall abandonné, démeublé, de la poussière sur les rambardes en chêne d'un escalier menant à l'étage supérieur, comme seule décoration. Une forte clarté émanait des spots incrustés dans le carrelage Bordeaux et une silhouette masculine s'en découpait. Et pas n'importe laquelle...

    — Laissez moi partir. Il faut que je parte ! s'écria tout à coup Raphaël.

   Malheureusement, les policiers avaient disparu. Et les traits des portes d'entrée s'étaient faites bouffées avec cette subite obscurité. Il ne voyait même plus le sol. Les spots ne servaient qu'à éclairer cette virile silhouette. Lorsqu'elle se mise davantage à la lumière, le blond déglutit de travers. Il la pointa d'un doigt fébrile, la respiration saccadée et se recula à chaque pas en avant qu'elle faisait.

    — Dégage ! Tu... Tu... Je ne veux pas-

    — Tu ne veux pas te rappeler de son visage, n'est-ce pas ? le coupa une voix de femme robotisée.

    — Comment le savez-vous ? Qui êtes-vous ? s'époumona-t-il, le cerveau prêt à exploser.

   Car la silhouette qu'il dévisageait avec tant de peur, n'était autre que celle de son père. Elle avait sa couleur de cheveux, son teint typé, ses gestes hautains, il en était sûr, c'était bel et bien lui ! À la différence de ses souvenirs, il lui manquait un visage. Le visage qu'il s'efforçait d'oublier.
   À force de fuir à reculons, il trébucha. Il tomba ridiculement sur la céramique froide, l'une de ses joues y étant plaquée. Il lui semblait avoir rencontré le pied de quelqu'un. Mais de qui ?

    — Et tu ne veux pas... Te rappeler d'eux, aussi ? continua la voix, moqueuse.

   Toujours étalé au sol, il pivota sa tête vers le plafond. Malgré les raies de lumières électriques qui l'aveuglaient, il aperçut d'autres personnes l'entourer. Le cœur de Raphaël s'emballa.

    — No-on, c'est pas possible... paniqua-t-il, c'est pas possible !

   Il dévia ses yeux larmoyants des sans visages, abasourdi. Sa plus grande peur était là. Sa plus grande peur, c'était toutes ces personnes qui se rapprochaient de lui et qui attendaient probablement qu'il devienne fou. À moins qu'il ne l'était déjà. Peut-être ne faisait-il qu'un cauchemar où ses plus profondes peurs resurgissaient ? Raphaël se pinça dans l'espoir d'avoir raison et soupira. Non, il ne rêvait pas, il était bien à Oak Observation après avoir été jugé coupable pour trafic de stupéfiants. Dans ce cas, que se passait-il ? Délirait-il, rongé de remords par millier ? Le blond ne pouvait croire que cela se produisait. Ils étaient tous... Ils étaient tous morts, sauf son père, bien sûr.
   Une jeune adulte lui agrippa abruptement le bras alors qu'il se recroquevillait. Le contact de ses doigts noirs de suie sur sa peau le paralysa. Il osa enfin la regarder et lâcha un sanglot quand elle hurla à ses oreilles :

    — Non ! Non, s'il te plait ! Par pitié !   Pardonne-moi, je ne le referais pas. NON !

   Elle répéta en boucle ses supplications tandis que d'autres se rajoutèrent à la mêlée. Un garçon tuméfié, qui paraissait avoir l'âge de Raphaël, ne disait rien. Il était tourné vers lui, la posture emplie d'arrogance, avec ses mains enfoncés dans les poches. Le blond se remit sur ses jambes, s'arrachant de la prise de la jeune fille et écouta ce rire nerveux lui glacer le sang. Ce moment le hantera toute sa vie et c'était sûrement ça, qui décidera de sa dernière heure.
   Ces éclats de voix le rendaient cinglé. Il avait cette sensation que son crâne se broyait, qu'il ne tenait pas la souffrance que lui évoquait cette vision d'épouvante. Raphaël les poussa, voulant s'extraire du groupe et se fit pousser en retour, dans un sens comme dans l'autre avant de pouvoir y parvenir. Soudain, l'air lui devint irrespirable, il irradiait ses poumons de douleur. Son champ de vision se brouillait sur de longues secondes, et pendant un instant, il sentit son corps l'abandonner. Mais le blond reprit contenance devant son père.
   Celui-ci s'articula de telle façon qu'il donnait l'impression de lutter contre lui-même, d'un maléfice qui essayait ardemment de l'enjôler. Sans rien n'y comprendre, son corps dégagea des nuages de fumée, qui vinrent le dévorer ensuite. Il laissa place à la personne étant le fruit de l'ultime peur de Raphaël et dont il n'en avait pas conscience. Du moins, pas encore.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 05, 2016 ⏰

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