01 - Paris - Oakland

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Texte écrit par Alexis Hayden & Pierre-Lionel Cayla - (Les cinq premiers chapitres). 

Evan était né à Paris, Français, d'une mère hôtesse de l'air et d'un père commandant de bord, tous deux travaillant pour la même compagnie nationale. S'il portait le nom de famille de sa mère : « Delattre », c'était que son père ne l'avait jamais reconnu. Il ne niait pas avoir un fils, mais il avait fait... affaire avec une autre hôtesse de l'air, qu'il épousa lorsqu'Evan avait déjà un an. Géniteur, oui, mais papa...

Un père distant, pas mauvais bougre, mais qu'Evan ne croisait que de temps à autre. Des fois, ce n'est pas plus mal, quand on voit fonctionner certains paternels, tellement présents qu'on en viendrait à envier les orphelins...

La séparation s'était faite en douceur, et l'absence ne lui pesait pas vraiment. D'autant que, si séparation il y avait, le papa volage, entre deux vols, revenait dormir à la maison, avec son ex-petite amie, qu'ils ne se disputaient jamais et qu'il n'avait pas le câlin radin, avec lui... Mieux, même : bien qu'il ne fût pas tenu de verser une pension alimentaire, il l'avait toujours fait, spontanément. Un amant fidèle à sa façon.

Evan avait dix ans quand sa mère quitta la France pour s'installer à Oakland, près de San Francisco. Changement de pays, changement de culture, de langue. Et de compagnie aérienne aussi : après Air France, sa mère volait maintenant pour Delta Airlines.

Il est des gens au destin particulier, c'est-à-dire sortant vraiment de l'ordinaire. Qui, à dix ans, n'a pas rêvé de s'envoler pour la Californie ? Malgré l'éloignement, ce papa, aussi mystérieux que... volatil, avait continué à entretenir une liaison avec la mère d'Evan. Il faut reconnaître que piloter des avions, ça aide plus au rapprochement, quand on vit sur deux continents différents, que le plus efficace des TGV ! Il était commandant de bord sur Boeing 747 et faisait régulièrement halte à Oakland. Dénué de complexes, dont celui de culpabilité, il parlait librement de sa double vie. Ainsi Evan n'ignorait pas avoir un demi-frère en France, d'un an son cadet et prénommé David. Si cet homme indécis n'avait jamais su faire un choix définitif entre sa femme et sa maîtresse, il avait toutefois un mérite, celui de n'avoir jamais nié être le père d'Evan. À dix ans, de toute façon, le garçon se posait peu de questions sur le sujet : il savait qu'il avait un père voyageur et cela lui suffisait pour accepter des absences, que justifiait son travail. Un travail ô combien prestigieux à ses yeux, tant il est plus agréable de se vanter auprès des copains d'avoir un papa pilote de ligne plutôt qu'employé de banque, cela dit sans vouloir déprécier la fonction primordiale des employés de banque ! Bref, il faisait avec. Ce n'est que bien plus tard qu'il lui fut reconnaissant de ne l'avoir jamais renié. Il l'avait même invité chez lui en France, dans son autre famille...

Ainsi, un été, profitant d'un passage à San Francisco, il avait embarqué son fils de quinze ans, allant jusqu'à l'installer dans le poste de pilotage de son Boeing. Evan en avait été ébloui, d'abord, puis fier comme un paon ! Parce qu'il n'ignorait pas que c'était un privilège rare que d'être admis dans le saint des saints, parmi ces héritiers des héros de l'aviation, à la fonction si essen... ciel rêvait-il encore naïvement... Quelle aventure ! Evan croyait rêver. Deux semaines de vacances en France, pendant lesquelles il avait fait connaissance de la deuxième famille de son père, surtout de David, son demi-frère. Un ado très solitaire modèle génération Y avec le casque audio rivé sur les oreilles à croire qu'il lui avait été greffé dès après sa naissance. Pendant ce séjour, Evan avait eu l'impression que son fantôme de père avait plus de contact avec lui qu'il n'en avait avec David. Surtout pendant leur visite des châteaux de la Loire, vus du ciel. Leur père, qui pilotait aussi des avions de tourisme, avait embarqué ses deux fils dans un petit Cessna, quatre places, monomoteur, pendant deux jours. David dormait à l'arrière de la cabine, pendant qu'Evan, assis sur le siège du copilote, s'extasiait sur la beauté du paysage et posait mille questions à son père sur les instruments de bord et la navigation aérienne.

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