1 : Jack

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Avant d'entrer dans la ruelle, je vérifie ma mise en utilisant la vitrine du bar comme miroir. La chemise à fleur rose et bleue, un peu serrée aux épaules, n'est pas boutonnée jusqu'en haut, et laisse voir les dog-tags qui pendent sur le haut de mon torse. Ma vieille montre à aiguille est bien serrée sur mon poignet et ma ceinture en cuir noir tient bien mon jean blanc en place. Je pose un pied sur le rebord de la vitrine et m'assure que mes boots sont bien serrées elles aussi. Bien. Si les choses en viennent à dégénérer, mes fringues ne me gêneront pas. Avant de partir je me passe une main dans les cheveux et lisse le bouc que j'ai laissé pousser dernièrement, plutôt fier de mon look. Les couleurs vives et claires de ma tenue contrastent avec ma peau sombre et mes cheveux et barbe noirs, la coupe, assez serrée, met bien mon corps longiligne et musclé en valeur, le tout en laissant peu de prises possible à des adversaires potentiels. Satisfait de mon look de branleur californien, adapté à cette bonne vieille Cité des Anges, je ramasse la mallette que j'avais posée par terre et m'engage dans le coupe-gorge qui sépare deux pâtés de maisons. Alors que je m'y avance, je décroche mes lunettes de soleil de ma ceinture et me les pose sur le nez. Après tout, quand on veut vivre à L.A., il faut bien respecter certains codes visuels.

La ruelle est vide pour l'instant. Rien d'étonnant, je suis exactement à l'heure et les petites frappes avec lesquelles j'ai rendez-vous vont vouloir s'assurer que je suis bien venu seul avant de montrer le bout de leur nez. Je pourrais les débusquer sans forcer mais ça ne serait pas très amusant. Alors je sors mon paquet de clopes de ma poche, en allume une et la grille tranquillement en regardant la bande de ciel qui se découpe entre les toits. Quand, enfin, j'entends des pas qui s'approchent, je suis en train de m'amuser du contraste entre le ciel que je vois à travers mes lunettes et celui que j'aperçois aux bordures de mon champ de vision, au-delà des bords de la monture. C'est fou comme c'est beau, le ciel. Dommage que plus grand monde ne prenne plus le temps de le remarquer. Avec un soupir je jette mon mégot dans une benne proche et me tourne vers les trois silhouettes qui s'approchent. Tous latinos, tous des mecs, tous tatoués et tous aux couleurs du même gang, les Sangre y Muerte. Derrière ce nom ridiculement arrogant, signifiant sang et mort, se cache tout au plus une trentaine de jeunes sans avenirs, affiliés de très loin au bien plus prestigieux Dieciocho, qui ont décidés de se lancer dans le racket et le trafic d'arme et de drogues pour améliorer un peu leur ordinaire morose. Je les aime bien. Ils sont en colère, désespérés et pétris de haine envers le monde qui les a réduit à ça, et ils le cachent derrière des airs de bravaches impitoyables. Il y a une certaine beauté tragique en eux, dans le fait qu'ils soient le testament vivant des erreurs du progrès, de la stagnation profonde de la société humaine. Je souris en les regardant arriver.

Ils s'arrêtent à environ trois mètres de moi. Celui du milieu, le leader je suppose, porte avec lui un petit sac de sport. De ma main libre je leur adresse un salut paresseux.

- Yo.

Les trois se regardent en ricanant et le leader me demande, avec un fort accent hispanique.

- C'est toi l'envoyé de Carlos ?

Je hausse un sourcil avec un petit rictus moqueur.

- No shit, Sherlock. T'as trouvé ça tout seul ?

La tension augmente d'un coup et la colère apparaît, évidente, sur leurs visages. Dieu ce que leurs petits egos fragiles sont faciles à vexer. Je sens d'ici leur envie de me tabasser, de venger ce qu'ils imaginent être une attaque sur leur honneur. Mon sourire s'élargit et j'agite doucement la mallette que j'ai à la main.

- Bon ? On le fait cet échange ou pas ?

Leur leader prend une grande inspiration et se calme visiblement. Moins bête que ce que j'aurais pensé. Il s'approche un peu plus, faisant signe aux deux autres de rester en arrière. Une fois à distance d'échange il pose son sac derrière lui et déclare.

Dieux PerdusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant