Première partie

35 5 7
                                    


Elle marchait encore et encore, à n'en plus pouvoir. Ce long chemin sombre ne menait décidemment nulle part. Elle était pourtant persuadée qu'au bout se trouvait la solution ; celle qui lui permettrait enfin de retrouver une paix infinie, cette paix qui lui avait tant manqué, qu'elle avait passé tant de temps à chercher, en vain. « Marche et ne t'arrête jamais. La clé se trouve au bout.», lui avait-on murmuré un de ces longs et froids soirs d'hiver.  

13 Janvier 1965

Eva McBeth ouvrit ses beaux yeux verts, seule source de beauté qui lui restait après 89 ans, le reste ayant été emporté par le temps au cours de ces longues années. Mais ce dernier avait beau voler jeunesse et vitalité, il ne pourrait jamais voler ce qui définit si bien une personne, ce qui la rend si unique : ses yeux.

Eva descendit tant bien que mal de son lit et alla ouvrir ses rideaux à fleurs. Le ciel était gris, annonçant encore une journée triste, monotone. Eva se dirigea d'un pas lent vers la cuisine, cherchant ce qui pourrait bien occuper son esprit aujourd'hui. Peut-être irait-elle rendre visite -si son mal de dos constant lui faisait une fleur- à son défunt mari, John McBeth. Ou alors peut-être essaierait-elle de joindre son unique fille, Anny, qui l'avait de plus en plus délaissée d'année en année.

Eva porta sa tasse de café à ses lèvres, mordit dans sa biscotte (nature, c'est comme ça qu'elle les préférait) puis jeta un regard à l'horloge de la cuisine, qui affichait 8h37. Elle resta les yeux fixés sur l'heure une bonne minute, comptant chaque seconde qui passait et observant cette infatigable petite aiguille faire le tour du cadran. Tic tac tic tac tic tac ... Un coup de téléphone la fit sursauter à en lui faire lâcher sa biscotte. Eva se leva donc et décrocha d'une main légèrement tremblante l'élément perturbateur. C'était Ed Roberts, le mari d'une de ses bonnes amies, Helen Roberts, qui lui demandait de venir au plus vite. Sa voix lui semblait plutôt nerveuse et oppressée. Mais cela n'alerta pas pour autant Eva, qui connaissait Ed comme quelqu'un de nature assez inquiète. Il était toujours aux petits soins avec sa femme et avait tendance à craindre le pire à chaque fois que celle-ci ne se sentait pas très bien ou tombait malade. Eva n'aurait donc qu'à le rassurer, lui promettant que ça n'est rien et que ça passera. Disons que ça lui ferait son activité du matin, tout du moins.

L'horloge sonna 9h lorsqu'Eva se décida enfin à se rendre chez les Roberts. Le temps n'était peut-être pas des plus favorables pour sortir, mais valait mieux ça plutôt que de rester assise sur une chaise à se morfondre tout en regardant les aiguilles tourner. Une fois arrivée chez les Roberts, Eva s'apprêtait à sonner lorsqu'elle vit que la porte était entrouverte.

-Ed ? lança-t-elle en poussant légèrement la porte.

-Entre, fit ce dernier d'une voix faible.

Il était assis sur un fauteuil, tournant le dos à Eva. Celle-ci s'approcha de lui et posa une main sur son épaule. Elle s'aperçut alors qu'il avait les larmes aux yeux. Il n'en fallut pas plus à Eva pour comprendre ce qu'il se passait lorsqu'Ed éclata en sanglots.

-Elle est morte, lâcha Ed d'une voix ravagée par la tristesse.

-Je sais, fit Eva tout en tirant une chaise pour s'asseoir près de lui.

-Hier encore, elle allait si bien ! Elle me manque tellement !

-Elle nous manquera à tous, dit Eva en lui prenant les mains.

Elle sentit de chaudes larmes rouler sur ses joues.

-Comment est-ce arrivé ? demanda-t-elle.

-Arrêt cardiaque, je suppose. Elle avait des nuits agitées en ce moment... Mais je ne pensais pas à ce point-là ! Je l'ai retrouvée ce matin, allongée dans le lit... inerte.

15 Janvier 1965Où les histoires vivent. Découvrez maintenant