4 - Arthur

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« – Ça l'est. Certaines fleurs demeurent pourtant encore un mystère pour moi. »

J'avais prononcé cette dernière phrase contraint et forcé par le scénario qu'on m'avait imposé mais je me sentais de plus en plus mal à l'aise face à cette situation. Garance, comme prévu, avait glissé sa main fragile dans la mienne et j'avais caressé sa paume du pouce. Elle me rappelait celle de ma grand-mère quand elle nous emmenait ma sœur et moi en ballade pendant les vacances d'été. C'était réconfortant et terrifiant en même temps. J'avais envie d'apporter un peu de bonheur à Garance même si tout ça n'était qu'une parfaite illusion mais je n'aimais pas abuser de son état pour lui faire croire des choses qui n'arriveraient plus jamais.

Nathalie m'avait bien dit que c'était pour son bien et que sans ça sa mère allait se laisser mourir. Mais j'étais persuadé qu'il y avait une autre solution. Qu'il était possible de la rendre heureuse à nouveau sans avoir à jouer et rejouer sa rencontre avec son mari. Son petit-fils avait supporté d'incarner Arthur pendant six ans jusqu'à ce qu'il parte à l'Université en octobre dernier. Depuis il n'y avait plus eu de rendez-vous fictif entre Garance et « Arthur » et la vieille dame avait comme cessé d'exister. Elle était restée cloîtrée dans sa chambre, ne mangeait plus que très peu et même si elle ne parvenait pas à se rappeler des événements qui avaient eu lieu après l'épisode de la boulangerie, elle devait savoir au fond d'elle-même qu'Arthur n'était plus là. Sa tristesse la rongeait de l'intérieur.

En la voyant maintenant, marcher doucement sa canne dans une main et l'autre dans la mienne, le sourire aux lèvres et le regard plein de malice comme elle l'avait certainement eu à 16 ans, je me sentais comme un intrus, un voleur. J'étais en train de voler à Arthur ce moment qui aurait dû rester unique. Je me faisais passer pour lui auprès de sa femme et elle ne s'en rendait même pas compte.

Nathalie m'avait prévenu que j'aurais certainement envie de lui dire la vérité et qu'elle ne m'en voudrait pas pour ça, qu'elle ne me virerait pas. Elle m'avait même donné quelques photos de leur vie à tous les deux pour me faciliter le travail : « On l'a tous fait, on lui a tous raconté, c'est humain alors si vous devez être amené à lui dire à votre tour, elles vous aideront. ». Selon elle c'était inutile puisque sa mère oublierait tout de notre conversation dans les heures qui suivraient comme elle le faisait depuis le décès d'Arthur il y a six ans. A croire que son cerveau avait préféré effacer presque toute l'existence d'Arthur pour ne pas la faire souffrir. Miracle ou fardeau, il subsistait le souvenir de leur rencontre et Garance était depuis plongée dans l'esprit d'une fille de 16 ans attendant son prochain rendez-vous. Elle ne vivait plus que pour ça. Sa fille et son petit-fils avaient donc décidé de mettre en scène ce rendez-vous en suivant à la lettre le récit qu'elle leur avait fait des dizaines et des dizaines de fois avant qu'elle n'oublie. Pourtant il fallait que je m'assure que rien d'autre n'était possible pour l'aider, je ne pouvais pas continuer à jouer cette ritournelle infinie sans être certain que c'était la seule solution.

Nous approchions d'un banc et j'en profitai pour nous y diriger. Ce n'était pas dans le planning et à ma surprise, Garance opposa une légère résistance, comme si elle savait intérieurement que ça n'aurait pas dû se passer comme ça. Elle finit toutefois par s'y asseoir et me lança un regard interrogateur, comprenant que j'allais lui dire quelque chose d'important. Je pris une grande inspiration et sortis la photo de leur mariage de la poche de mon pantalon.

Les nénupharsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant