Quid

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Je revenais peu peu à la conscience. Le monde vint à moi par bribes d'informations, provenant de sens différents, par intervalles irréguliers et disparates. D'abord ce fut le toucher, tout mon corps semblait avoir été brûlé, puis traîné sur des milliers de pas,et enfin lâché à cet endroit comme un vulgaire sac ce viande. J'essayais en vain de savoir où j'avais mal, mais dès que je m'ouvris à la douleur, tout mon corps, et mon cerveau se révoltèrent à l'unisson.

Un océan de douleur s'empara des parcelles de ma conscience fraîchement retrouvée, tout n'était que douleur.

Et la douleur était tout ce à quoi j'étais réduis.

J'avais les yeux clos, mais la seule impression qu'il me restait était une vision blanche éclatante, qui semblait venir de l'intérieur de mon cerveau. C'était une vision entêtante, comme un négatif de mauvaise qualité et profondément dérangeante. Je me concentrais dessus un long moment. Suffisamment pour oublier la douleur. Celle-ci était bien trop intense pour que j'y penses, sans perdre ce qui me restait de conscience.

Le deuxième sens à se manifester fut le goût, ce goût de cendre obsédant qui ne semblait vouloir quitter ma bouche, et qui s'était déposé sur le bout de ma langue. Il y avait également un arrière-goût de cuivre très prononcé. Je ne réalisai que plus tard, que c'était la saveur caractéristique du sang frais. J'étais donc blessé quelque part, et si ce n'était pas sur l'intégralité de mon corps, j'aurais bien chercher à savoir à quel endroit.

Ensuite, l'odorat, tout ce que pouvait sentir mon nez à ce moment était une odeur de brûlé très marquée, si forte qu'elle m'envahit et agressa mes sens. J'aurais souhaité être capable de ne rien sentir, car cette odeur était vraiment insupportable, mais je crus déceler une senteur plus fine, plus discrète qui se dégageait.

Mais je n'étais pas prêt à accepter ce que cette seconde odeur impliquait, car si j'avais une certitude c'est que je l'avais senti bien trop de fois auparavant, et que j'avais maintes fois souhaité ne plus jamais la ressentir.

Cette odeur était celle de la chair carbonisée.

Et j'étais quasiment certain que dans ce cas-ci, c'était de chair humaine dont il était question. De plus l'odeur de cendres devait être les restes d'un grand nombre d'incendies pour être aussi forte.

Puis vint l'ouïe, un singulier bruit irritait mes oreilles en permanence,je ne pus l'isoler en premier lieu. Et cela me frustra au plus haut point. Puis je me rendis compte qu'il s'agissait d'un bourdonnement et d'un sifflement, chacun relayé par l'autre quand le deuxième perdait en intensité. Il me semblait que c'était le bourdonnement caractéristique d'une explosion proche, tandis que le sifflement devait sûrement signaler que mon sens de l'ouïe était gravement et définitivement endommagé. Mes oreilles étaient donc brutalisées en permanence, j'étais quasiment certain qu'elles saignaient.

Le dernier sens fut la vision, de loin le plus important pour moi afin de savoir où je me trouvais, mais ce flash blanc le paralysait toujours. J'avais cependant de solides indices sur ma situation grâce à mes autres sens, mais j'avais besoin du final, pour confirmer les théories qui s'échafaudaient déjà par centaines dans mon esprit torturé. Après une très longue période, où je tentais de m'habituer au chaos qui habitaient mes sens, mes yeux s'ouvrirent enfin, j'eus alors une sensation de vertige. Elle était si forte qu'elle m'aurait terrassé immédiatement si je n'étais pas déjà au sol. La lumière de ce qui sembla être le petit matin, m'agressa les yeux et m'obligea à les fermer à nouveau.

Encore un long moment s'écoula avant que je ne les rouvre, me forçant cette fois à les garder ouvert afin de m'habituer à cette lumière qui paraissait si étrangère. Le ciel s'étendait devant moi, majestueux, immense et magnifique. Cependant très différent de de l'idée que je m'en faisais. Ce ciel-ci était envahi par une épaisse fumée noire qui ne cessait de s'étendre, on n'apercevait les nuages qu'a travers d'épaisses volutes noires et le soleil lui était complètement caché. Cela ressemblait à l'atmosphère céleste se tenant au dessus d'une catastrophe, des restes d'un champ de bataille, ou d'un village mis à feu et à sang. Là encore, je me fis la réflexion que ce genre de paysage m'écœurait, il faisait écho au passé d'une vie antérieure dont je n'avais aucun souvenir,j'avais l'impression d'avoir vu suffisamment de scènes similaires pour plusieurs vies. Tout comme pour l'odeur de chair brûlée, cette révélation me provoqua un haut le cœur. Je ne me rappelais pas qu'une chose semblable me soit déjà arrivé. Je ne savais pas d'où me venait cette sensation de déjà-vu, mais ce dont j'étais sûr c'était que le haut le cœur était bien réel lui, il manqua d'ailleurs de me faire vaciller une nouvelle fois.

La Chute D'un EmpireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant