Ch 1

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   Il se releva tant bien que mal. Sa tête l'élançait. Il prit son crâne à deux mains et serra, comme pour tenter de faire passer la douleur. En vain. Il tituba jusqu'à la salle de bain et fit face au miroir. L'image que ce dernier lui rendait était vaguement floue et tanguait. Il jura, baissa la tête, s'agrippa aux rebords du lavabo et attendit que sa nausée passe. Alors seulement il s'autorisa à nouveau à faire face à son reflet. Ce qui lui faisait face, il le voyait tous les jours. Et tous les jours, il se haïssait un peu plus. Il fixa quelques instants son teint trop pâle, ses yeux rougis, ses cernes violacées. Ses cheveux gris aux reflets violets lui tombaient en mèches collantes dans les yeux, assombrissant son visage. Il remarqua qu'il était torse nu. Il s'était visiblement déshabillé en rentrant. En rentrant d'où, d'ailleurs ? Il ne le savait pas. Il ne savait jamais. Jurant encore, il recula et faillit perdre l'équilibre. En colère, il se retourna et envoya son pied dans la bouteille qui l'avait fait trébucher. Elle explosa en mille morceaux dans le mur opposé, et des relents d'alcool flottèrent jusqu'à ses narines, lui donnant envie de vomir. Toussant, il se précipita vers les toilettes, releva le couvercle et cracha dans la cuvette. Il resta ainsi quelques secondes, se maudissant de boire autant. Haletant, le corps parcouru de nombreux tremblements, il finit par se redresser et tira la chasse d'eau, un goût amer de bile dans la bouche. Il resta immobile quelques instants, puis, une fois la nausée passée, il retourna faire à nouveau face au miroir. Après avoir fixé ses yeux hagards, il alluma le robinet, tendit ses mains en coupe sous le jet glacé et s'aspergea le visage. Il s'essuya ensuite avec son avant-bras nu et, le dos courbé, il s'apprêtait à aller dans sa chambre quand une main l'arrêta. Il tournait le dos à la personne qui le maintenait. Il yeux dans le vague, les paupières mi-closes, il ne tenta pas de se dégager.

- Tu devrais arrêter tes conneries maintenant. Ressaisis-toi, merde ! s'écria une voix qu'il ne connaissait que trop bien.

- Ta gueule, répondit-il d'une voix neutre.

Il se dégagea d'un mouvement d'épaule et se traina vers sa chambre. Une fois à l'intérieur, il se dirigea vers son lit et s'y affala. Les coudes sur les genoux, la tête entre les mains, il ne tentait pas de se rappeler de la soirée de la veille. Il avait abandonné. Oublier après avoir trop bu, ça lui arrivait tellement souvent depuis quelques mois qu'il ne s'en préoccupait plus. Non. Il essayait de se souvenir d'eux. Cependant, ils lui échappaient. Petit à petit, ils disparaissaient dans l'oubli, devenaient de plus en plus flous. Après encore une vaine tentative pour se mémoriser ses aînés, il poussa un petit cri plaintif et cacha ses yeux de ses mains. Il pleura ainsi, gémissant tel un chiot blessé, pendant de longues minutes lorsque, finalement, l'épuisement le gagna. Alors seulement, il se rallongea avec lenteur et se laissa plonger dans les abîmes noirs et effrayants du sommeil, siège de cauchemars et de souffrances.

***

   Une main caressant son dos le réveilla. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre qu'il était dans sa chambre de la villa, et bien d'autres pour se rendre compte que quelqu'un était dans son lit. Il n'osait pas se retourner, de peur de ce qu'il allait découvrir. Et il n'était pas d'humeur à résoudre le conflit qui allait suivre de manière diplomatique. Des cheveux chatouillant son visage achevèrent de l'énerver. Il se redressa brusquement et se leva, repoussant de la main celle qui osait l'importuner.

- Oppa... ?

Il grimaça. Cette appellation et la manière dont l'inconnue l'avait prononcée lui donnait la nausée. Il n'était pas le gentil oppa qui protège les gamines. Il ne l'était plus.

- Ta gueule, dit-il sans même jeter un regard à la femme qui était dans son lit.

Il pouvait deviner son air ahuri face à sa réaction. Ses yeux écarquillés, sa bouche entrouverte, son teint blême. D'une certaine manière, ça le faisait rire. Il en fallait peu pour mettre ces femmes dans son lit. Juste quelques mots doux murmurés dans le creux de leur oreille, un chaste baiser déposé timidement dans leur cou, et elles étaient totalement à lui. Quelque unes lui résistaient, parfois, mais soit elles revenaient le voir en rampant, soit il abandonnait définitivement et passait à une autre. Depuis que ces aînés étaient morts, il... Non, non, il devait se reprendre. Ne pas penser à eux. Sinon il allait craquer, et en aucun cas il ne pouvait le faire devant témoins. C'était impensable. Il préférait affronter le courroux de l'inconnue qu'il avait ramené du quelconque bar où il avait passé la soirée à boire il ne savait quoi avec il ne savait qui. Enfin en partie avec elle, visiblement. Il se retourna donc vers elle et la détailla. Elle n'était pas spécialement belle, sans être repoussante. Elle avait de courts cheveux bruns encadrant son visage banal, aux yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, les rendant petits. Bruns foncés, presque noirs, ils ne brillaient d'aucune lueur, à part vaguement un peu de colère, et quelques larmes naissaient le long de ses paupières inférieures. Ses lèvres, pâles, étaient pincées. Elle n'était pas affreusement maigre, mais elle n'en était pas très loin. Ses seins nus étaient bien trop volumineux pour être naturels, et il remarqua sur son corps des petites taches indicatrices de liposuccion. Bref, elle n'était en rien différente des autres femmes qu'il avait vues dans son lit auparavant. Il pouvait donc déjà imaginer la scène qui l'attendait, et cela l'agaçait encore plus. Un rictus étira ses lèvres, et il se prépara mentalement à la tempête qui n'allait pas tarder à lui tomber dessus. Il se risqua cependant à parler.

- Bon, écoute, je vais faire court. Là je suis pas d'humeur, ok ? Donc la meilleure chose pour toi –et pour moi– c'est que tu partes sans faire d'histoires.

Le visage de la jeune femme se décomposait au fur et à mesure qu'elle comprenait ses paroles. Hansol comprit qu'il n'allait pas s'en tirer à si bon compte, et que la jeune personne face à lui allait rendre la situation particulièrement compliquée. Qu'est-ce que j'ai bien pu lui promettre, cette fois ? se demanda le jeune homme.

- T'es sérieux, espèce d'abruti ? hurla-t-elle. Je suis celle avec qui tu as couché hier ! Tu m'as promis que j'étais différente, et que cette soirée avec moi serait la plus belle de ta vie ! Et... Et quoi ? Tu me demandes de dégager ?!

Sa voix partit dans les aigus, déclenchant une nouvelle migraine chez Han Sol. Il se passa une main dans les cheveux, rejetant sa frange en arrière. Tout l'énervait. Ça avait beau être le même cirque à chaque fois, il ne s'y habituait jamais. Parler lui était insupportable, sa langue pâteuse rendait sa prononciation difficile, il avait horreur de ça. Il apostropha pourtant la coréenne nue assise dans son lit.

- T'es pas différente des autres, bien au contraire. T'es juste une autre qui passe dans mon lit. Donc maintenant, tu te rhabilles en vitesse, et tu dégages. A cause de toi je suis claqué. Et t'as de la chance. Normalement, quand une fille comme toi me réveille, je m'énerve vraiment, et c'est pas beau à voir. Donc tu fermes ta gueule et tu sors vite. Je veux dormir.

Cette dernière écarquilla les yeux, choquée, bouche bée. Se ressaisissant, elle referma la bouche et retrouva un semblant de calme, mais ce n'était qu'une façade. Elle se leva avec lenteur, se rhabilla sans hâte, prenant soin de ne pas regarder celui qui l'humiliait. Une fois vêtue de son short ridiculement court et d'un haut blanc transparent au décolleté plongeant et provocateur, elle se retourna vers Han Sol et plongea résolument son regard dans le sien. Alors, elle s'approcha nonchalamment, et lorsqu'elle ne fut plus qu'à quelques centimètres de lui, qui n'avait pas bougé d'un pouce, elle leva son bras et le gifla de toutes ses forces. Elle lui déversa ensuite un torrent d'insultes à la figure, rougissant de colère, et s'en alla d'un pas raide, le dos droit. Elle prit bien soin au passage de claquer violemment la porte. 

   Une fois la tigresse partie, Han Sol poussa un profond soupir et regagna son lit. Se glissant avec bonheur sous la couette, il se dit qu'il essayerait de se souvenir de la soirée de la veille plus tard. Et qu'au fond, en fait, il n'en avait rien à faire. Ce n'est pas comme si il essayait, d'habitude. Sur ces résolutions, il ferma les yeux. Cependant, il n'eut pas le loisir de s'endormir, un coup frappé à la porte l'en empêcha. Avec un grognement, il se redressa juste à temps pour voir la porte s'ouvrir et laisser passer Byeongju. Ils se dévisagèrent en silence quelques instants, puis le cadet referma la porte et s'approcha du lit de son hyung.

- B-Joo, casse-toi, grogna Hansol en se recouchant.

Il sut cependant que le plus jeune ne l'écouterait pas. Plus personne ne l'écoutait, depuis qu'il se comportait ainsi. C'est-à-dire depuis... bien longtemps. Les yeux dans le vague, il soupira.

- Hyung... Tu devrais arrêter d'être comme ça avec les filles que tu ramènes à la villa. Non, en fait, tu devrais juste arrêter d'en ramener. Ça va finir par nous causer des ennuis...

- Yah ! C'est ma vie, ok ? Alors tes conseils, tu les gardes pour d'autres !

Il s'était relevé d'un coup et foudroyait le pauvre Byeongju du regard. Ce dernier n'avait rien demandé à personne, il le savait. Lui aussi avait été détruit à la mort de... Non, à leur mort. Il le savait. Mais il ne pouvait s'en empêcher, il n'arrivait pas à agir autrement. Cependant, quand il vit son cadet rentrer la tête dans les épaules et se lever en tremblant légèrement, il regretta d'avoir été aussi dur avec lui. Il ne fit pourtant pas un geste pour le retenir, ni n'ouvrit la bouche pour lui présenter des excuses. Il se contenta de le regarder se diriger vers la porte, l'ouvrir et s'arrêter sur le seuil pour se retourner vers lui.

- Reviens vite, hyung... On t'attend tous, murmura Byeongju d'une voix à peine audible.

Il se détourna ensuite et ferma la porte, laissant son ainé seul avec ses pensées tourmentées.  

L'oeil du loup (Topp Dogg fanfiction)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant