Première vie, première mort

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Des heures à fuir sur cette planète blanche, des heures à courir sur cette terre gelée en permanence, des heures à marcher dans cette neige où chaque enjambée s'enfonce jusqu'au genou. Aucune vie, aucune plante, aucun minéral apparent, seulement un désert blanc, balayé par des vents perpétuels et mortels. Chaque pas me vidait du peu d'énergie qu'il me restait, l'espoir balayé depuis longtemps par la tempête de neige. Mais devant moi se dressait comme une petite caverne , ou un trou, moi,  je le voyais plutôt comme un cercueil de glace, un tombeau où finir ma vie, où je pourrais me reposer. Je m'écroulais alors sans retenu sur ce tapis de neige dur et froid, qui me paraissait pourtant bien douillet, aux vues de ce que j'avais vécu ces derniers jours. Mes yeux se fermèrent doucement, et quand je pus enfin me sentir serein face à la mort, quand je renonçais enfin a la vie,  je perçus un souffle toujours chaud prêt de mon visage qui me repoussa des doux bras de la grande faucheuse.


Difficilement, je tournais la tête dans sa direction. J'y vis un jeune enfant, si faible, si pâle et tremblant. Ce gamin que j'avais juré de protéger, et que j'avais laissé me suivre, que j'avais laissé fuir à mes côtés et du même coup, se retourner contre ses frères, contre sa famille. Il me regardait dans les yeux, sans haine ni colère, pleins d'admirations et de tendresse, comme il en avait toujours été. Avec mes dernières forces, je le pris dans mes bras, je ne devais pas vraiment le réchauffer, mais que pouvais-je faire d'autre. J'aurais préféré qu'il vive. J'échouais une fois de plus à sauver l'être que j'aimais, et comme Alice, il allait mourir dans mes bras, et je n'avais même plus la force de pleurer pour ça.


Mon Chère Alice, que penserais-tu de moi ? Serais-tu déçu de me voir ainsi ? Toi mon ange salvateur, toi qui fus celui qui me baptisa, toi qui fus celui qui m'éleva, qui m'appris tout ce que je devais savoir, qui m'a tant aimé. Tu es mort parce que j'étais trop faible pour te protéger. Quelle amère ironie ! Toi qui me disais si souvent que j'étais le meilleur, créé pour être le soldat parfait, sans faille, sans faiblesse. Mais il aurait fallu s'en douter, je suis le résultat d'une expérience ratée, seul survivant de la sixième génération, seul survivant de la naissance en cuve. J'ai eu la chance de survivre à cela, mais était-ce réellement une chance. Je me fiche bien de disparaître a présent, car je suis responsable de votre mort à tous les deux, pardonné moi, s'il vous plaît.


Le visage d'Alice disparaissait, son image s'évanouissait tout comme les sensations de mon corps, le froid faisait son travail, bientôt, ce serait la fin. Le monde devint noir, glacé, je croyais mourir, mais cet endroit me rappelait quelque chose, quelque chose de lointain, un endroit dans lequel j'avais vécu, bien avant ma naissance. Pour la première fois depuis si longtemps, je me souvenais. C'était étrange de revenir ici, où j'avais pris conscience pour la première fois, ce monde étrange, nostalgique. À cette époque, on m'avait, pour d'obscures raisons, bloqué tous les sens, je ne pouvais ressentir mon corps, je vivais dans un monde sans vie, sans espoir et sans peur, un univers vide et infini. La seule chose que je pouvais faire, c'était de penser, réfléchir. Heureusement, avec moi, il y avait Père, comme un phare me guidant, il était le seul repère dans cet espace chaotique. Certes, je ne pouvais le voir, je ne pouvais rien voir, mais je pouvais l'entendre, le comprendre, le ressentir, non pas avec les oreilles, non pas avec mes yeux, mais directement dans mon esprit, il n'existe aucun mot pour décrire cela, car aucun de vous ne pourrait survivre a ça. Il m'apprit beaucoup, à lire, à écrire, à parler, l'art de la guerre, de la stratégie, de la survie, les mathématiques, les sciences, tout ce qui me serait utile pour devenir le meilleur. Je percevais cela sous forme de notions, abstraites pour certaines, compréhensives pour d'autres, je dus attendre de posséder un corps avant de comprendre la plupart des notions. Je n'étais qu'un esprit, encore inconscient, sans corps.

RelationXOù les histoires vivent. Découvrez maintenant