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Paul était contrarié ; sa journée ne fut pas mauvaise, au contraire ! Seulement elle ne lui laissa pas un instant de répit ; en tout sens il avait dû courir, écouter tout le monde, et maintenant, enfin seul, il avait donc tout loisir de rentrer en lui-même et réfléchir. Pourtant il ne parvenait pas à trouver la paix ; l'écho du vacarme des heures précédentes continuait de bourdonner à ses oreilles.

Gagner au loto n'est pas chose évidente. Paul repensait à l'accueil chaleureux au bureau de la Française des jeux, le champagne, la médaille, les petits fours, les prospectus explicatifs. Seuls les conseils financiers ternirent le tableau resplendissant de la matinée. Paul et sa femme ne se départirent pas de leur sourire pour autant. Depuis le lendemain du tirage tous deux nageaient dans un bonheur enivrant.

Néanmoins ce changement brutal ne le protégeait pas des réprimandes conjugales. « T'as pas vidé le lave vaisselle » ; « Regarde si Théo n'a pas asséché la baignoire » ; « T'as vérifié les devoir de Manon ? » ; « Y'a plus rien dans le frigo, t'aurais pu faire les courses ? »

Mais qu'est-ce qu'il en avait à foutre de tout ça avec six millions d'euro en poche ? Quand cet argent sera crédité il pourra payer une femme de ménage à sa femme H24, un répétiteur à sa fille, et une nounou sept jours sur sept à son fils. S'acheter une paix royale : « OUAIS !!! » hurla-t-il en lui, « OUAIS !!! OUAIS !!! OUAIS !!! » Il vivait cette chance d'avoir gagné le gros lot comme une victoire. Le « lauréat » s'imaginait dans les baskets d'Allen Iverson après un panier à trois points dans le money time du All Stars. La foule hurlant son bonheur, déchaînée, Paul multiplierait les signes rageurs d'une victoire méritée. Mais où voyait-il le mérite ? Pour lui, une réponse simple : persévérance, croyance, et chance. Les attributs de grands sportifs.

Sa femme endormie à ses côtés, Paul affalé dans le canapé devant la télé matait l'émission de Cauet. Pour la première fois, il ne se rêvait plus sur le fauteuil bleu, sortant d'un show de télé-réalité. Son regard avait changé depuis la semaine passée. Ce jeudi soir, les vedettes semblaient minables et lui géant. Si leurs cachets de quinze mille euros pouvaient le scandaliser jusqu'à présent, le néo-millionnaire trouvait subitement ces bouffons pathétiques. Le regard vide, il réalisait combien cette somme allait changer les détails de sa vie. Les grands projets sont une chose aisément concevable, ils nourrissent les songes. Mais ce gain n'a pas altéré ses rêves : il changera son quotidien et tous ses repères. Plus rien ne sera comme avant.

« Mais qu'est-ce que tu vas faire de tout cet argent ? » La question revient systématiquement. En décrochant au téléphone, Paul entend à chaque fois cette rengaine. « Mais qu'est-ce que tu vas faire de tout cet argent ? » finissent par demander tous ses interlocuteurs. Depuis que la nouvelle a été annoncée, son portable n'a jamais autant chauffé. Il hallucine de la vitesse à laquelle l'information se répand.

Paul se remémore les coups de fils reçus dans la journée.

Sa mère, anxieuse de le voir changer, pleine de recommandations :

« Allô mon Paulo ?
— Oui ?
— Alors comment ça c'est passé à la banque ce matin ?
— Maman je te l'ai déjà dit nous ne sommes pas allés à la banque mais au bureau de la Française des jeux.
C'est kif-kif bourricot, ils t'ont donné le chèque ou pas ?
— Ils m'en ont donné un pour la photo, mais c'est juste pour la décoration, ils me feront un virement.
— Ouais, histoire de garder l'argent sur leur compte huit jours de plus.
— Maman... ils ne mettront pas huit jours, et je ne suis pas à quarante-huit heures près, ok ?
— Mais qu'est-ce que tu vas faire de tout cet argent ? Elle radote de plus en plus, se dit Paul j'espère ne pas déceler les signes avant-gardistes d'Alzheimer dans ses répétitions.
— Maman ! T'es chiante, je te l'ai déjà dit, je vais placer les six millions sur des comptes le temps que la pression retombe et on verra après.
— Achète un bijou à ta femme quand même hein, depuis le temps qu'elle te supporte.
— Tu m'as jamais acheté de bijoux toi.
— Allez va, dis pas de bêtise et pense à ce que je te dis, sans faire de folie, achète une parure à Leclerc, si tu veux on ira ensemble.
— Ouais ouais on verra plus tard.
— En tous cas fais bien attention. Et voilà, la litanie repart systématiquement...
— Oui... je ferai attention Maman.
— Tu dis oui, mais surtout ne signe aucun document sans avoir lu tout bien en entier, ne souscris aucune assurance, tu sais les assureurs ils n'en veulent qu'à ton argent. Tu te rappelles en quatre-vingt-deux quand ton père...
— Maman tu me l'as déjà répété dix fois, j'ai un double appel je dois raccrocher bises.
— Bisous mon Paulito. Pratiques les excuses du téléphone moderne.

Paul zappait, mais revenait toujours à Cauet ; rien d'autre sur les autres chaînes. Pourquoi se plaignent-elles de ne pas faire d'audience si elles demeurent incapables de diffuser des programmes intéressants en face ? Bientôt, Paul aurait CanalSat avec du sport à gogo, des films et des programmes à ne plus savoir quoi regarder, le tout sur une télécommande énorme. Et ce téléviseur, cadeau de mariage, partirait vite à la cave ou aux ordures, remplacé par un écran plasma d'un mètre au moins, ou alors peut-être un projecteur vidéo.

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