Fin

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Même son patron l'avait sollicité, lui passant une pommade multicouches. Commercial depuis cinq ans, Paul avait essuyé de nombreux refus d'évolution dans l'entreprise familiale. Monsieur Weinstein, débauché par les propriétaires de la boîte à un concurrent allemand, dirigeait Les Machines Agricoles Jeannot d'une main de fer. Malgré les bons résultats de Paul, son deuxième meilleur vendeur, il lui faisait miroiter un avancement sans jamais fixer d'échéance.

Mais ce matin, le ton différait :

« Allô, Paul, Monsieur Weinstein à l'appareil.
— Oui ? Fit Paul interrogateur, surpris d'entendre cet accent allemand à l'autre bout du fil.
— Je vous appelle pour vous communiquer de bonnes nouvelles, tout d'abord je suis heureux de vous annoncer que l'entreprise Jeannot pour laquelle vous travaillez depuis quatre ans...
— Cinq, précise Paul.
— Oui cinq ans, l'entreprise Jeannot, répéta le directeur comme s'il était à la radio en train d'offrir la valise RTL, l'entreprise Jeannot est heureuse de vous offrir quinze jours de vacances supplémentaires. »

Sans attendre de réponse l'Allemand enchaîna :

« Et puis sachez que je serai heureux de vous recevoir bientôt dans mon bureau pour votre avancement. J'ai également eu au téléphone Monsieur Jeannot Père. Peut-être ne le savez-vous pas, mais les actionnaires, fondateurs de notre entreprise, sont à la recherche de capitaux propres pour prendre une dimension internationale après notre implantation réussie en Europe. Et, peut-être, seriez-vous intéressés d'entrer dans le capital de la société et de prendre la tête de l'implantation en Chine ou au Brésil ? Je vous demande de vous préparer à cette idée, nous en parlerons plus en détail lors de notre entrevue. En attendant que vous me rappeliez pour fixer un rendez-vous, je vous souhaite de passer de bonnes vacances en famille. Encore une fois toutes mes félicitations et mes amitiés à votre femme.
— Merci, à bientôt monsieur Weinstein.
— Appelez-moi Hans.
— Au revoir monsieur.
— Au revoir Paul. »

Toujours dans son canapé, le commercial pensait au Brésil et à la Chine. Ne parlant pas un mot de chinois, il se voyait davantage sur les plages près de São Paulo avec un défilé de strings devant les yeux, qu'au centre de Pékin noyé par les vagues jaunes ou rouges. Il décida d'aller au rendez-vous avec en poche sa lettre de démission.

Le dix-huitième coup de téléphone de la journée fut celui d'Henri. Son père lui avait déjà sorti toute une liste de placements selon la règle des trois tiers : un tiers prudent à la caisse d'épargne, un tiers sage en codevi par exemple, et un tiers risqué en actions dynamiques. Il promit à Paul de lui établir un classement des plus performants, des banques et de conseillers patrimoniaux. Avec le conseil de ne pas mettre toutes ses billes dans la même banque, et le conseil de sacrifier beaucoup de temps pour superviser son argent, et le conseil de s'arrêter de travailler pour se consacrer exclusivement à la gestion de son capital. Que de recommandations ! Paul promit à son père de lire attentivement toutes les documentations et d'être attentif à ses choix.

Ne rien dire pour surprendre tout le monde au fur et à mesure, voilà comment il aurait dû agir. Ainsi il aurait pu continuer à vivre en paix, imaginer des surprises et entretenir le mystère. Offrir des cadeaux hallucinants à Julie, l'enlever à sa vie d'aide soignante pour des voyages impromptus, tout en gardant le secret du financement. S'inventer une vie de tueur à gages, ou de mafieux, se la péter au boulot avec une BMW S3, s'acheter à lui-même des machines agricoles Jeannot pour faire exploser son chiffre de vente. Voilà ce que Paul aurait dû faire, se la fermer. Il en vint à regretter de n'avoir pas su garder la nouvelle pour lui seul.

Paul a une petite soif, ces émotions l'assèchent. Il se lève précautionneusement afin de ne pas réveiller son épouse. Le bon père de famille millionnaire se dirige vers le réfrigérateur bientôt nourri de bières de marques, plus jamais ces packs de soixante-quatre bouteilles bon marché. Il passe dans la cuisine et se demande « Mais qu'est-ce que je vais faire de tout cet argent ? »

Lumière.

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