Je suis dans cette salle d'attente depuis maintenant 10 minutes et on ne peut dire que je me sente bien ici. Le temps semble être plus relatif qu'il ne l'est réellement, tant l'attente me paraît longue. Et pourtant, cela ne fait que 10 minutes.
Il fait froid, mais peut-être que c'est l'atmosphère de cette pièce qui m'envoie ce ressentis. L'odeur présente me dégoute, elle semble se balader avant de vous trouver, de vous attraper, et de ne plus vous laisser. Elle nous nargue.
Une odeur de mort.
Comment une jeune femme pleine de vie peut-elle apprécié cette odeur de mort qui domine l'endroit ? J'en avais la nausée.
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Elle...
Elle avait disparu si brutalement.Le visage que j'arbore n'est qu'une façade. Intérieurement, je suis meurtris et déchirée. Extérieurement, je suis joyeuse et pétillante. Aux yeux de tous, je suis la jeune fille aux grandes ambitions sans la moindre difficulté sur son chemin.
Et pourtant, chaque nuit, ses souvenirs me hantent.Une larme coule le long de mon visage. Je l'efface furtivement.
Ce n'est pas aujourd'hui que mon image changera, ce n'est pas aujourd'hui que j'arborerai aux yeux de tous la tristesse qui m'envahit.Et si je la perdais ? Et si le dernier endroit où je la voyais était ici, à la morgue ? Et si je ne réussissais pas à m'en sortir sans elle ? Comment pouvait elle me laisser tomber maintenant ? Je ferme les yeux.
Inutile de se faire du mal.
Un vieil homme me sort soudainement de mes pensées. Je le fixe un moment, sans bouger. J'ai cette habitude d'analyser toutes les personnes qui croisent mon chemin. Je les observe, tente de les comprendre. Leurs fonctionnement, leurs habitudes de vies, leurs classes sociales.
L'homme n'a sûrement que 40 ans, et pourtant, les traits de son visage lui en donnais 10 de plus. Ses cheveux blancs ne recouvrent pas toutes les parties de son crâne, c'est probablement dû au stress quotidien. Il a les yeux fatigués, ils ne reflètent aucune lueur. Il semble s'être éteint de l'intérieur.
Soudainement, l'appréhension, pour ne pas dire la peur, de découvrir que ce pourquoi je suis venue est réel m'agrippe les boyaux. Je reviens à la réalité, me lève, et suis l'homme à travers un petit couloir, sombre et lugubre.
Quelle horrible odeur.
Le couloir est extrêmement long, et je refuse d'imaginer ce qu'il y a dans toutes les pièces qui se rejoignent dans ce couloir. Une lumière pâle, et bleuté envahit l'endroit. On se croirait dans un congélateur géant. Après tout, c'est presque ça. On traverse ce couloir, le bruit des talons contre le sol résonnent en un écho dérangeant. Il se stoppe, et nous voilà au bout du couloir, face à une petite porte de métal.
Ça y est, je vais entrer, je vais voir son corps nu sous un drap fin, je vais voir ses yeux fermés sans vie et son corps immobile.
J'entre.
Mes bruits de pas résonnent.
Je ferme les yeux.
Les rouvrent.
Elle est là, sous mes yeux.
Pâle, et abîmée.Qu'est ce que tu as fais pour mériter ça hein ? Pourquoi est ce que tu te retrouves sur cette stupide planche ? Pourquoi tu ne m'as pas laissé y aller à ta place ?
Non. Ça ne peux pas être elle. Peut-être simplement quelqu'un qui lui ressemble. N'est ce pas ? Merde.
Si je reste une seconde de plus, je risque de devenir folle.
Je fais demi tour, sans la moindre hésitation. L'homme ne me rattrape pas, probablement habitué à ce genre de réaction. Je traverse la petite pièce rapidement et regarde furtivement autour de moi. Il y avait des centaines de cases dans lesquelles étaient entreposées, probablement, des centaines de morts.
Non stop.
Elle n'est pas morte, c'est impossible. C'est simplement quelqu'un qui lui ressemble.
Je traverse le long couloir, et ce fut lorsque je relève la tête que je le vis. Il a entre 18 et 20 ans.
Il est terriblement beau, c'est un arabe, peut-être marocain ou tunisien, les yeux noirs et un regard profond mais tellement sombre qu'on a l'impression que la noirceur l'habite... Une barbe de 2, 3 jours, des traits prononcés et parfaitement retracés sur son visage. Il a l'air d'avoir une confiance en lui à en faire peur.Je ne peux détourner les yeux de lui, il me trouble l'espace d'un instant.
Pourquoi suis-je incapable de l'analyser ? Son visage ne représente rien, n'inspire rien.
Évidemment. Il arbore une facette, comme je le fais moi même depuis tant d'années.
J'oublie un court instant que je suis à la morgue.
"Oh connasse, tu dégages de mon chemin ou tu continues de baver ?"