Dark Mountain

Cela faisait des mois qu'il ne dormait plus, et cette nuit ne dérogeait pas à la règle. Allongé dans son lit, les yeux fixés dans le vide, Ennis ressassait ses regrets, ses idées noires, ses beaux souvenirs qui lui faisaient l'effet de millions de poignards s'enfonçant dans son cœur. Toutes ses nuits ressemblaient à celle ci, depuis la mort de Jack. Il avait pourtant tenté de refaire sa vie. De reprendre son rôle de père, de trouver une nouvelle femme. Mais ses démons revenaient perpétuellement, l'empêchant d'avancer, le clouant à terre. Comment approcher une femme alors que la seule personne qu'il aimait réellement était un homme ? Comment prétendre qu'il était heureux en compagnie de ses filles, alors que son esprit était perpétuellement tourmenté ? Il n'arrivait plus à vivre normalement, il sentait qu'il se renfermait de plus en plus sur lui même. Il n'avait plus vu personnes depuis des semaines, des mois, qui sait ? Il perdait la notion du temps. Il devenait fou, seul dans son vieux camping-car.

Il se leva lentement et se dirigea vers la petite salle de bain de son taudis. Le sol semblait bouger sous ses pieds, grinçant un peu plus à chaque pas. Il se plaça devant le miroir sale et observa son visage détruit. Ses cheveux blonds ternes tombaient sur ses yeux, son teint était cadavérique, ses yeux cernés. Ses lèvres tombaient. Comme si elles étaient désormais incapables de sourire. Les paroles de ses filles lui revinrent en tête.

« Papa, je m'inquiète pour toi... Tu souris plus... Il me manque ton sourire...
- Faut vraiment que tu te remaries papa, j'aimerais bien te revoir sourire ! »

Sourire ? Comment pouvait il sourire ?! Il en était tout simplement incapable. Il n'avait aucunes raisons de sourire ! Il attrapa son miroir, le secouant avec rage.

« Vous voulez me voir sourire hein ? »

Il attrapa une lame de rasoir, rendue rouge par le sang séché qui la recouvrait. Il la fit tourner entre ses doigts avant de l'approcher de son visage. Sans plus réfléchir, il posa la lame entre la commissure de ses lèvres. Il pressa, faisant couler quelques gouttes de sang. Sans prêter attention à la douleur, il se dessina une large entaille sur la joue. Il répéta l'opération sur l'autre joue, toujours sans paraître ressentir la moindre souffrance. Il lâcha la lame, et observa l'image que lui renvoyait le miroir. Le sang roulait en abondance le long de son menton, de son cou. Et un immense sourire était gravé sur son visage. Un rire dément sorti de sa gorge, ouvrant un peu plus ses plaies exsangues.

« Et maintenant ? Il est beau, mon sourire, hein ? »

Et alors qu'il riait, il perdit connaissance, tombant dans une flaque de sang grandissante.

~ ~ ~ ~ ~ ~

Il se réveilla avec un mal de crâne à s'exploser l'occipital contre un mur. Il passa sa main sur sa tête endolorie, avant de se rendre compte qu'un grand bandage recouvrait le bas de son visage. Il se souvint alors. Il voulu lever l'autre main pour s'enfuir, mais il était menotté. Une jeune femme en blouse blanche entra dans la chambre. Ennis la dévisagea. Elle avait de fins cheveux blonds coiffés en un chignon impeccable, et portait de grosses lunettes rondes.

« Bonjour, M. Del Mar. Laissez moi me présenter, je suis votre psychiatre, Harleen Quinzel. »

Ennis lui aurait bien dit d'aller se faire foutre, mais son bandage l'en empêchait.

« Votre voisin vous a entendu crier, et a appelé l'hôpital. Sans lui, vous seriez mort... J'avoue que votre acte me laisse perplexe. Vous semblez être très, très instable, M. Del Mar. Je reviendrais vous voir quand votre bouche sera guérie, histoire qu'on discute ensemble de ce qui vous a conduit à vous ouvrir les joues, d'accord ? »

Ennis la regardait droit dans les yeux, sans bouger d'un poil. Harleen ne pouvait soutenir son regard, gênée par les yeux vides de cet homme. Le patient leva lentement son bras libre, et pointa du doigt les toilettes. Harleen suivi la trajectoire de son mouvement des yeux.