Pas un mot

Partie 2

On s'assied tous avec nos plateaux. Mes nouilles ont l'air infectes. C'est de la soupe qu'il y a par-dessus? Mes camardes sont tous en face de moi comme si j'avais la peste. Non mais sérieux, je sens mauvais ou quoi? Ils me regardent tous. Bon, comment on fait la discussion déjà? Commençons par une question simple.

- Vous êtes scolarisés ici depuis combien de temps?

-Lucie et moi sommes nouveaux, comme toi enfaite; répond Kevin.

Je suis étonnée qu'ils soient nouveaux. On dirait qu'ils sont tous amis depuis toujours.

-Je pensais que vous étiez tous amis depuis longtemps!

-Kevin et moi, on se connait depuis qu'on est tous petits enfaite, dit Lucie. Rebecca et Emerson se fréquentent depuis, 2ans non?

Se fréquentent. Se fréquentent? Ça veut dire quoi ça?

-Ouais, 2ans ce mois ci, certifia Rebecca en embrassant la joue d'Emerson.

Ok. Le garçon sur qui je fantasme depuis des jours, est en couple. Avec ma gentille voisine. J'ai envie de pleurer. Je regarde mon assiette en priant que ça se finisse.

-Alors parlons un peu de toi, reprit Emerson, j'ai entendu dire que tu faisais cours chez toi.

J'hoche la tête sans lever le nez de mon assiette. Ils se fréquentent, bon Dieu!

-Pourquoi ça?

Pourquoi n'étais-je pas scolarisée dans un établissement? Une question qui revient fréquemment. Mes souvenirs de l'école n'étaient pas joyeux. On me malmenait, on faisait courir des rumeurs à mon sujet. J'avais un ami. Mais il était trop peureux pour se tenir à mes côtés devant tout le monde. Parfois, il se joignait à mes harceleurs . On pouvait se parler, mais derrière un arbre ou sous une table. Il savait ce que je vivais, mais il n'a jamais osé me défendre. Je cachais tout à ma famille, je leur disais que j'avais pleins d'amis. Mon père m'appelait "petite Leader". Quand je leur racontais ce tissu de mensonge, je voyais la fierté dans leurs yeux. Il m'arrivait d'y croire aussi, avant que la réalité me rattrape. Lorsque ça arrivait je pleurais sous la douche, en me demandant pourquoi n'étais-je pas la fille qu'ils voulaient avoir.

Éventuellement, les intimidations devenaient si oppressantes que je ne voulais plus aller à l'école. Je faisais mine d'être malade. Ma mère s'inquiétait de mon état et m'emmena chez le médecin. Ce dernier remarqua les bleues et les coupures. La vérité fit surface et ma mère refusa de me ramener à l'école. Donc depuis mes 14ans, je suis des cours chez moi, que mon père m'enseigne. Du moins, jusqu'à aujourd'hui.

-Le système ne me convenait pas. C'est ce que je trouve à dire, c'est ce que je dis toujours.

-Oh, c'est ta première reprise depuis...?

-3ans.

-T'aime bien, jusqu'ici? continue Emerson.

Je lève les yeux vers lui en lui lâchant un "ça va". J'ai la rage de toutes ces questions, je n'essaie même plus d'être gentille.

-Mais du coup, comment tu faisais pour les amis?

-J'me débrouillai.

-Comment?

-Comme ça.

Sans que je n'ai le temps de m'en rendre compte, je vidai mon assiette de nouilles à la soupe sur sa tête. Le reste de la table reculait sa chaise pour ne pas être éclaboussé. Je ne suis même pas désolée pour lui. Il le méritait. Toute la cafet' a les yeux rivés sur nous. J'admire une dernière fois mon chef-d'oeuvre et je me tire.