3.

272 20 1
                                    

Entraînés par la foule qui s'élance, Harry ne voit plus le temps passer. Il n’arrive pas à compter les secondes, les minutes, les heures. Göttingen a envahi son esprit, l’a rendu fou. Il connait désormais son nom, murmuré dans une phrase dont il a saisi la moitié du sens. Göttingen, Göttingen… Quel beau nom, quel bel son il provoque. Cela lui évoque du bonheur, de la plénitude. Peut-être que c’est parce que c’est ce qu’il vit en ce moment, dans cette danse délicate, au milieu d’une foule qui fait comme eux, qui danse une folle farandole. C’est comme un mouvement collectif ou tout le monde se rencontre à un moment où à un autre. Il se sent dans l’ambiance, dans la masse, le cœur léger,

les deux mains restant soudées à celle de sa partenaire. Il sent son corps proche de lui, cela lui fait du bien, cela le calme. Son cœur bat peut-être vite, mais ce n’est rien à côté de ce bonheur qu’il ressent. Rien du tout, cela dépasse bien tout cela.

Cette danse, ce moment, le sien, le leur, ce mouvement de foule, ces accouts, ces caresses, ces soupires et ce bonheur ils sont partagés. Il ne vit pas ce moment parfait seul, perdu. Il est avec elle, juste elle, dans leur bulle, au milieu de tout, de vous. Il ne sait pas dire s’il y a des flashs, il n’est pas concentré dessus, comme à chaque fois qu’il est en boite. Peut-être parce qu’il n’est pas en boite, mais aussi parce qu’il n’est pas avec une fille perdue dans la masse qu’il a juste envie d’amener dans sa chambre d’hôtel. Non, il est avec Göttingen qui a un drôle d’effet sur lui, qui lui fait du bien.

Parfois soulevés, il a l’impression que leur deux corps enlacés s’envolent dans les cieux. Qu’ils ne reviendront plus, qu’ils seront ensemble à jamais. Que leur danse ne s’arrêtera plus jamais. C’est simple, c’est beau. Mais ensuite, il sent de nouveau le goudron sous les pieds, martelant ses chaussures, faisant légèrement mal à ses pieds. C’est comme s’ils retombent tous deux. Pourtant, il n’est pas déçu de revenir sur terre, il est épanoui, enivré et heureux...

Est-ce qu’elle ressent ça, elle aussi ? Est-ce qu’elle est emplie de bonheur comme lui ? Est-ce qu’il lui fait quitter par son odeur, sa chaleur, ses lèvres, sa tête, son cou la planète terre ? Où n’y a-t-il que lui pour se faire des films de romantiques ? N’y a-t-il que lui qui a envie que cela continue pour toujours ? Il ne sait pas, il l’ignore, il a envie de savoir parfois. Cela le travaille, il se demande s’il ne se fait pas d’illusions, s’il n’est pas entrain de se projeter trop loin.

Parfois, il se demande même si c’est un rêve et s’il hallucine. Parce que ce moment est trop beau, trop irréel. Il se sent ses mains trembler dans celle de Göttingen, il se mordille légèrement sa lèvre inférieur. Elle ne le verra pas tout de suite, elle a toujours sa tête sur son épaule. Et lui, il a la tête sur la sienne, au milieu de ce slow, au milieu de cette danse. Mais là, il la sent bouger.

Ses cheveux le chatouillent, le font sourire. Lorsqu’elle relève la tête, lorsqu’elle le regarde trois dans les yeux, la joie éclaboussée par son sourire le transperce et rejaillit au fond de lui. Son cœur repart de plus belle, ses lèvres s’étirent encore plus, sans pour autant arrêter d’être mordillée. Elle lui touche la lèvre du bout des doigts, comme pour lui dire de se taire. Elle enlève la petite dent qui mordille la chair de ses lèvres, qui mordille un peu trop. Il se demande même si elle ne va pas voir du sang lorsqu’elle va l’enlever. Mais non, pas à voir. Parce qu’elle continue de sourire, de lui montrer plein bonheur. Harry sourit, timide, intimidé, heureux, comblé.

-          Toutes les bonnes choses ont une fin, murmure-t-elle dans son oreille, je suis attendue chez moi par mes parents. Merci pour cette magnifique soirée, Harry.

Et là, d’un coup, brutalement, elle s’en va. Elle se faufile au milieu des danseurs sous le regard perdu d’Harry qui pousse un cri parmi les rires. Il l’appelle, crie son nom, en quête d’un numéro, de quelque chose. Mais elle est déjà trop loin, brisant son cœur, son âme, son esprit. Il a envie de pleurer, d’hurler de vomir, de s’en aller. Son cœur est en miette au sol, détruit, mangé, cassé. Il ne peut plus rien en faire, plus rien en dire. Parce que la réalité fait surface, ce moment est fini, il n’y aura pas de suite, la foule vient l'arracher d'entre ses bras...

La Foule // h.sOù les histoires vivent. Découvrez maintenant