"Il apparaît aux solstices et disparaît aux équinoxes. Tel était la loi immuable de cet homme mythique."
C'était une journée d'été normale à Guerma. Les enfants jouaient entre eux, les femmes s'affairaient chez elles, préparant le repas, tandis que les hommes cultivaient leurs champs, négociaient divers marchandises, ou se saoulaient dans la petite taverne du coin. Peu avant le coucher du soleil, l'un des habitants de ce village, répondant au nom de Konor, rentrait chez lui après une journée de dur labeur. Alors qu'il cheminait sur le sentier menant au petit bois jouxtant Guerma, le fermier remarqua du coin de l'œil un nuage de poussière s'élevant au loin sur la route. Il continua calmement sur sa charrette tirée par deux bœufs, une main sur sa faucille néanmoins. Les bandits se faisaient légions ces temps-ci.
Lorsque le cavalier inconnu fût à sa hauteur, ce dernier mit sa monture au trot et salua le villageois:
"-Salutations, mon ami.
-Bonjour, répondit Konor avec le fort accent propre aux habitants de cette lointaine contrée.
-Y aurait-il une taverne où je pourrais dormir cette nuit?
-Natan ne laisse personne entrer sans argent.
-Qui est Natan?
-Le propriétaire de l'auberge-taverne miteuse dans mon village, Guerma.
-Merci, brave homme."
Puis, sans plus de cérémonie, l'inconnu fit accélérer son cheval d'une pression de pied, et disparut dans un nuage de poussière.L'endroit empestait l'alcool. Deux ou trois groupes d'ivrognes le dévisageaient ouvertement et marmonnaient dans leur barbe. Les autres occupants de la pièce étaient tous en train de dormir. Le mystérieux individu dût même enjamber l'un d'eux pour atteindre le comptoir.
"-Auriez-vous un lit libre?
Son interlocuteur le dévisagea suspicieusement:
-Vingt-trois Rez* de bronze par semaine."
L'inconnu lança les pièces qui disparurent instantanément dans la main du tavernier, dont l'unique œil brillait de convoitise.Deux mois plus tard, le mystérieux nomade séjournait toujours dans la pseudo-auberge du village. Les villageois commençaient à se méfier. Après tout, qui voudrait rester dans un trou perdu au milieu de nulle part?! Habituellement, les voyageurs restaient une nuit puis prenaient leurs jambes à leur cou en s'enfuyant de cet endroit qu'ils qualifiaient de "misérable" pour les plus respectueux.
Alors que Diable faisait cet homme?!Konor continuaient à labourer le petit lopin de terre qu'il possédait. Cette parcelle était le bien le plus précieux qu'il possédait, et le seul héritage de sa famille. Alors qu'il se levait pour chercher les graines qu'il allait bientôt planter, il sursauta lorsqu'il remarqua la présence de "L'homme Noir" près de lui.
"-Que faites-vous ici, sacre bleu!
-Je vous observais.
-Ne vous a-t-on jamais dit que ça vous apportera malheur? Les vieilles mégères vous traiteront dés demain de démon voulant boire nos âmes ou autres bêtises. Vous ferez mieux de partir.
-Vous voulez que je parte? Questionna l'encapuchonné.
-Vous faites ce que vous voulez, bonhomme, mais je vous aurez prévenu."
Sur ces paroles, le fermier se dirigea vers son sac qu'il avait laissé un peu plus loin, mais il remarqua que celui-ci avait disparu. Le cherchant du regard, il le trouva au pied de son interlocuteur.
"-Donnez-moi ça, sale bougre! Grogna celui-ci.
-J'aurai besoin d'informations.
-Qui vous dit que je vous dirais quoi que ce soit? Répondit-il, cédant peu à peu à la colère.
-Personne ne veut me répondre au village et les ivrognes ne me servent à rien, dit-il simplement de sa voix froide et calme.
-Très bien, soupira Konor, avec la désagréable impression de s'être fait piégé, que veux-tu savoir, Akta *?"Le vent était sec et gonflait la cape de l'inconnu. Les armes, accrochées à sa ceinture, renvoyait l'éclat du soleil, proche de son zénith. Bientôt arrivera l'heure, il le sentait...
Comme pour lui donner raison, le ciel se chargea soudainement de nuages, empêchant toute lumière céleste de parvenir jusqu'à lui. Une brume opaque obstruait sa vision et des voix – non, des murmures – oppressants emplirent l'air d'une ambiance malsaine. Peu à peu, des volutes d'un noir d'encre s'élevèrent de terre, telles des âmes cherchant à s'échapper de l'enfer dans lequel elles furent emprisonnées. Une déflagration eût lieu, délivrant des flammes pourpres de nulle part, et faisant tomber la capuche de l'étranger. À la faible lueur des braises encore flambantes au milieu des cendres, se dessinait la silhouette d'un homme de bonne facture, aux yeux durs colorés d'azur, et au visage carré marqué d'une cicatrice barrant son nez. En voyant que les spirales de fumée ébène se rassemblaient pour dessiner un semblant de forme humaine, ses yeux brûlèrent subitement d'une folie propre à ceux qui risquaient leur vie pour une cause chère à leur cœur. Un sourire carnassier s'étira doucement sur ses lèvres, et il se propulsa puissamment en avant, laissant derrière lui la trace de son chemin sur les cendres grises, et bientôt une traînée sanglante souillera son parcours.
Peu avant de quitter le champ dévasté, une dryade jura l'avoir entendu dire:" Akta, pourquoi pas, après tout?"
Ce matin-là, lorsque Konor se réveilla aux aurores pour se rendre à son champ, il assista au départ de celui qui se forgea une réputation millénaire ; celui qui quittait enfin ce village sous le soulagement apparent de ses habitants, avec de nombreuses blessures mais le sourire aux lèvres, fier sur son cheval alezan, le héros des humains et le cauchemar des Enfers ; Akta, le Purificateur.
Répertoire :
-Akta : Déformation du mot Agda désignant l'un des rois démons de la culture populaire. Ce dernier se caractérisait par sa fourberie et sa faculté de réaliser ses désirs par la simple parole. Aux alentours de 250 avant le Grand Cataclysme, il désigna aussi un héros de légende issu de l'imagination collective, un homme capable de rivaliser avec les démons.
-Dryade: Nymphe sylvestre, esprit supposément protecteur des forêts et vivant en elles.
-Rez: Monnaie de faible valeur.
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Contes et Légendes du Royaume d'Assadorn
FantasyDans une bibliothèque poussiéreuse, où chaque pas résonne, et où subsiste encore quelques traces de magie, un livre doré accroche mon regard. De nature curieuse, je m'approche doucement de lui, dans ce sanctuaire silencieux, et je m'empresse de déch...