Cassandra

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Le message a été violent. Il m'a fait l'effet d'une grande claque. Tu t'es envolée. Les premières pensées fusent. Non, pas aujourd'hui. C'est impossible. Pas toi. Mon cœur me fait terriblement mal. J'ai dû le relire plusieurs fois pour percuter. C'est impressionnant comme quelques mots peuvent te renverser jusqu'au plus profond de ton être.

Soudain, la vérité m'apparaît aussi vraie qu'horrible, même si je refuse d'y croire. Bien sûr, c'était prévisible. Bien sûr, tu n'allais pas vraiment bien ces derniers jours. Bien sûr, tu étais en soins palliatifs. Il n'empêche que c'est douloureux. Ton décès m'anéantit Cassandra.

La maladie est une vraie garce.

Tu es partie pour toujours. Je ne peux pas retenir mes larmes. Elles coulent toutes seules, elles me brouillent la vue. J'essaye de les essuyer, parce que je me trouve dans un bar bondé, au milieu d'une musique beaucoup trop forte maintenant. Rien à faire. Elles dégoulinent sur mes joues, toujours plus nombreuses. Des gens me regardent, intrigués, parce qu'il y a trente secondes je riais. Je vais prendre l'air. J'étouffe.

Au début, la douleur est insoutenable. Je n'arrive pas à poser des mots sur ce que je ressens. Je pense à tes parents, ta famille, aux milliers de personnes qui te suivent. Je regarde le ciel. Il fait nuit mais il n'y a pas d'étoiles. J'ai envie de hurler mon désespoir.

Je suis tellement en colère. Elle bouille en moi, j'ai envie de tout détruire. Parce que ce n'est pas dans l'ordre des choses qu'une petite fille de deux ans meure. Qu'elle naisse presque déjà condamnée. C'est tellement injuste.

La vie est une vraie garce.

Tellement de gens méritaient de mourir à ta place. Les violeurs, les assassins, ceux qui sont incapables de ressentir le moindre remord. Toi, tu aurais dû vivre et grandir entourée d'amour, de bonheur. Eux, aurait dû prendre ta place pour tenter d'obtenir  le pardon de leurs victimes, de Dieu ou de n'importe qui d'autre, là haut, tout au long de l'éternité.

La mort est une vraie garce.

Le lendemain de ton envol, je suis allée faire une randonnée sur une petite montagne, à moitié entourée d'eau. L'endroit est magnifique. Le début est abrupt, il faut marcher sans glisser sur des cailloux mouillés par la mer. A un moment, il y a plusieurs grosses pierres, où l'on peut découvrir des centaines de noms inscrits, des cœurs, des « Je t'aime » et des « pour la vie ». L'amour ronge ces pierres, gravé pour toujours et à jamais.

Je me dis que tu aurais parfaitement ta place ici. Je cherche des yeux un caillou assez aiguisé autour de moi, mais il n'y en a aucun. Alors je grave ton prénom à la force de mes ongles. Cela ne laisse qu'une légère marque blanche, mais je suis sûre que la mer viendra sculpter ces traces au fil du temps. Pour que personne ne t'oublie jamais.

La montagne est petite. Un aéroport n'est pas très loin. Une fois en haut, j'aperçois les avions tellement près de moi que j'ai l'impression que je peux les toucher. Et je me demande, si ces avions sont si près de moi alors qu'habituellement ils sont si hauts, est-ce que toi, Cassandra, tu es près de moi ?

Deux ans. C'est si jeune pour mourir. Tu as à peine vécu. Est-ce que c'est mieux ainsi ? Sans doute. Tous ces séjours à l'hopital. Tous ces fils partout sur ton corps, ces piqûres. Ces marques de fatigue sur ton visage, malgré tes magnifiques sourires. Tu souffrais tellement.

La souffrance est une vraie garce.

C'était il y a une semaine, déjà. J'ai commencé à écrire ce texte aussitôt. D'abord dans ma tête, pour me libérer de ma colère. Comme si tu pouvais m'entendre. Puis sur le bloc note de mon téléphone, pour me vider l'esprit. Pour ne rien oublier de ce que je ressens. Puis sur mon ordinateur, pour te rendre hommage.

Depuis, je ne cesse de relire ces mots, encore et encore. Pour essayer de les rendre plus beau. A ta hauteur, digne de toi. Ce texte est si lamentable. J'ai envie de balancer mon ordinateur à l'autre bout de la pièce. J'aimerais tellement te rendre hommage correctement, mais je n'y arrive pas.

Alors je laisse juste les mots sortir. Tant pis. De toute façon, le plus bel hommage que je peux aujourd'hui te faire est d'aller donner mon sang et m'inscrire sur les listes de dons de moelle osseuse. Je te promet que je le ferai.

Avec ces quelques mots, je m'adresse aussi à tous les enfants malades du monde. Nos propres difficultés sont si futiles à côté de ce que vous traversez jours après jours, minutes après minutes, secondes après secondes. Votre combat est hors du commun. Pour la plupart, vous êtes condamnés. Vous pourriez vous laisser aller, mais vous vous battez malgré tout. Malgré votre souffrance. On ne peut pas comprendre tant qu'on ne l'a pas vécu. C'est inimaginable. Continuez à être fort. Battez vous pour la vie. Pour connaître le bonheur auquel vous avez tous droit. Je prie pour vous tous.

A toi Cassandra maintenant, petite  princesse. La bataille que tu as mené a été si dure. Trop. Ton courage a été à la hauteur de ton combat. Haute comme trois pommes, tu m'as véritablement renversé pendant ces deux ans. Je suis tellement impressionnée par cette force de vivre que tu avais. Cette volonté de marcher vers la vie. Comment se fait-il que tu souriais, que tu riais, que tu jouais, malgré la maladie qui te rongeait jour après jour ? C'est incroyable. Tu étais si fragile et pourtant si forte. Si belle. Je suis si fière de toi. Tu resteras à jamais dans mon cœur et mes pensées. Pour toujours.

Merci pour cette belle leçon de vie, petit ange. Repose en paix.

CassandraWhere stories live. Discover now