La longueur du souvenir

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Je me sens flotter.
Les gens sont nombreux ici, je sens leur présence continuelle autour de moi.
Je me sens bien.



Dans une salle à l'ambiance feutrée, j'attends assise sur le canapé rouge sombre, seule. Les murs sont d'un jaune pale passé, un peu grisâtres avec le temps. D'autres personnes sont là, présentes autour de moi, évoluent, chacune dans sa propre bulle, s'ignorant les unes des autres. Comme des chiens de faïence quand leurs regards se croisent. Un enfant m'observe en passant avec ses parents.

Je suis arrivée là pour toi. J'ai eu si mal quand tu es parti, j'ai été tellement bien quand tu m'as rappelée. Alors je suis venue, comme promis. Et je t'attends.
Je souris en pensant au passé, on me lance d'étranges regards, parfois inquiets, souvent moralisateurs, toujours furtifs. On fini par ne plus me voir. Peut-être que tu passeras sans me voir toi aussi.
Je m'aperçois tout à coup que je suis la seule à rester dans cette pièce. Les quelques personnes qui étaient présentes tout à l'heure –de silencieux jeunes hommes– sont parties dans le flot humain.

Je reste là. Sans bouger. Je ne sais plus depuis combien de temps je suis là, mais tu finira bien par arriver. Le soleil est toujours aussi brillant. Tu seras peut-être là d'ici la tombée de la nuit.
Je change de position de temps à autres. Je marche, quelques pas, pour me dégourdir les jambes, me rassoit, m'allonge, m'assoit de nouveau.
Je ne vois ni les enfants, ni le jeune couple, les vieux, le nourrisson dans sa poussette ; je prends ma tête entre mes mains et je pense. A toi.

Ils passent, me regardent, m'oublient, m'observe. Je fais comme partie d'un décor sans date.


Je ressasse ces souvenirs, les amours, les voyages, les désespoirs, les alliances et la mort, je revis chaque instant comme s'il venait de se produire. Je pense à toi, encore et toujours.
Tu es ma pire obsession, de plus en plus à mesure que le temps passe et j'espère te voie enfin arriver dans l'encadrement de la porte.

A force d'y penser, ce salon est devenu mon Conscient et mon Inconscient. J'y ai posé toutes mes peines et mes douleurs, dans chaque recoin, découvert la transformation en mélancolie et caressé du bout des doigts les fleurs de cette culture étrange.

J'ai vécu ici mille vies.

Les bruits s'éteignent peu à peu comme le temps passe. Le soleil brille toujours, je le vois encore filtrer à travers les volets. Quelques rayons caressent mes chaussures. Je me demande quand viendra la nuit. Je joue avec les morceaux de soleil, les effleure comme s'ils étaient de délicats papillons. Je me lasse vite de ce jeu enfantin.

Je m'assois au milieu du canapé, me redresse, et regarde autour de moi.

Well, oh well..

Apparently nothing.

Je ne vois rien que ces murs passés, ces tentures rouges assorties au canapé, ces fenêtres fermées éternellement. La seule lumière vient du soleil, passant par la porte ouverte à droite sur le mur d'en face, et des fentes dans les volets craquelés.
Je sais que cette porte donne sur un hall carrelé de blanc pour l'avoir observé pendant des heures. J'aperçois des escaliers de bois derrière une sorte de comptoir, peut-être l'accueil de l'endroit. Comme un hôtel. C'est dans un hôtel que je t'attends. Dans le salon réservé aux invités.
Tu ne devrais plus tarder maintenant.


Plus personne ne semble passer par le salon. En me levant enfin, je m'aperçois du silence. J'observe le hall, j'avance doucement vers la lumière qui devient de plus en plus aveuglante tout en guettant le moindre son.
Arrivée a la porte, je suis troublée par tant de lumière, puis, m'habituant peu à peu, je vois le hall, son carrelage blanc, émaillé et brisé par endroits. L'escalier de bois est recouvert de poussière, plus personne ne semble s'y être aventuré depuis bien longtemps. J'aperçois à grand-peine la porte d'entrée noyée de soleil, grande ouverte... Le comptoir de la Réception est vide et tout aussi poussiéreux. Je ne comprends pas. Et tu n'es toujours pas là.

You don't
You don't


Je me retourne vers le salon sombre. Le temps de me réhabituer a l'obscurité, je vois que quelqu'un est assis sur le canapé.
Qui tient sa tête dans ses mains.

You don't see me.

Je me sens flotter.

La longueur du souvenirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant