C A R P E K O I

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C A R P E   K O I

ou les méandres de la vie.

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Ce n'est pas évident de tout comprendre, de tout analyser rapidement, de saisir chaque sous-entendu. Une phrase contient en moyenne une douzaine de mots, et chaque mot contient environ trois à quatre sens différents. Le cerveau humain doit tout analyser. Maman dit que le mien, il n'est pas comme les autres. Qu'il est unique, et si précieux que peu de médecins le connaissent et s'y intéressent.

On m'a dit assez tôt que j'avais ce syndrome. Asperger. Au début, je trouvais le nom rigolo, c'était comme les asperges qu'on mangeait le dimanche sur la table en plastique du jardin. Je n'y ai pas fait attention, car après tout, c'était un nouvel ami avec lequel jouer.

Pour mes trois ans, j'ai reçu une nouvelle peluche. J'aimais beaucoup les peluches, car on pouvait inventer plein d'histoires. Et pour mon anniversaire, c'était un éléphant. Il était beau, avec sa trompe grise et ses grandes oreilles roses. Alors, je l'ai appelé Asperge, et je l'ai placé à côté de Tiho le Lion et Gény la Grenouille. Monsieur Panda, il était jamais content, mais bon, c'est Monsieur Panda en même temps, on ne peut pas lui en vouloir.

Avec mes quatre amis, je passais beaucoup de temps dans ma chambre bleue. C'était un bleu apaisant, comme la mer que j'avais vue pendant les vacances de Pâques avec Papi.

Mais toute ma famille avait toujours ce sourire triste, en me regardant. Je n'ai pas compris tout de suite, je vivais tranquillement, dans mon petit monde, avec ma famille dans cette chouette maison de campagne.

Quand il faisait beau, d'avril à juillet, Mamie ou Papi me faisaient la classe dans le jardin, pas très loin du bassin d'ornement. Et puis, le soir, Maman et Papa rentraient de leurs travails, nous étions enfin une famille réunie.

Mais n'allez pas croire que j'étais complètement naïf. Lors des leçons dans le jardin, il y avait ce livre d'images. Dessus, à la page 7, il y avait des enfants avec des t-shirts bariolés. Un homme était sur un pupitre, devant eux, en montrant un grand ensemble noir qui m'effrayait. On appelait cela « l'école ». Franchement, ça ne me faisait pas envie. Sur la page 9, les mêmes enfants jouaient dans une cour, certains étaient par terre. Je ne comprenais pas l'intérêt. Et surtout, ces enfants, j'étais comme eux, alors pourquoi j'avais la chance que mes grands-parents me fassent la classe ?

En soi, ça ne me gênait pas vraiment.

Pourtant, un soir d'été où l'air était si chaud, où les guirlandes de la terrasse se soulevaient délicatement avec la tramontane, Maman et Papa avaient des amis à manger. Je ne me souviens pas de leurs prénoms, en revanche, leur fils, Simon, je m'en rappelle comme si c'était hier. Cette soirée avait été mémorable, et quand je revois les photos où les yeux du petit garçon de six ans que j'étais étaient emplis, chaque détail remonte à la surface.

Simon était blond, ce blond chatoyant qui illumine le soleil même lors des après-midis pluvieux. Mais, outre ça, Simon parlait beaucoup. Il avait aussi six ans, et il avait pris ses jouets. Il voulait qu'on joue ensemble. Il avait de bonnes intentions, mais je ne savais pas comment jouer avec quelqu'un, moi. Alors je lui ai présenté Monsieur Panda et Tiho le Lion. Mais il a préféré qu'on joue à son jouet en plastique.

Vous savez, le plastique, ça fait mal sur la tête, car j'essayais de me cacher dessous. Simon, lui, faisait de grands gestes, il parlait fort, il criait même, il courait autour de la table. Alors, je suis allé voir Mamie, et j'ai dit qu'il avait l'air d'un débile. En soi, c'était vrai, c'était stupide de courir en brandissant un avion à la main, il ne va pas voler pour autant. J'ai dit tout ce que je pensais, comme tous les jours avec Papi et Mamie. Mais les parents de Simon, eux, ils n'ont pas été contents.

Carpe KoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant