La machine à voyager dans le temps

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Construire une machine à voyager dans le temps n'a rien de bien compliqué. En réalité, une fois que l'on a assimilé quelques principes de mécanique quantique et de relativité générale, il est assez simple de théoriser le transfert de matière — ou d'une personne — d'une époque à une autre. Si simple que même moi, Lucas, onze ans, ai résolu ces calculs il y a de nombreux mois déjà.

Reste la pratique. Et encore une fois, il est presque étonnant de s'apercevoir que tous les éléments nécessaires à la fabrication d'une machine temporelle peuvent être achetés au supermarché local. Bon, presque tous. La génération de kaons neutres requiert un peu plus que quelques cylindres en titane et bouteilles d'azote liquide. Mais quand on est un « petit génie » comme moi, finalement, c'est assez faisable.

Enfin, le dernier élément — et sans doute le plus important — est la motivation. Car si les studios hollywoodiens sont toujours friands de scénarios apocalyptiques où le voyage dans le temps offre des possibilités quasi infinies, les véritables esprits scientifiques de notre monde s'accordent à penser que les paradoxes engendrés par un éventuel voyage inter-époques seraient si destructeurs que la construction d'un tel appareil ne vaut sans doute pas le risque, l'énergie et les moyens.

Pourtant, j'ai récemment eu toute la motivation nécessaire à la mise en place de mon projet.

Il y a quelques semaines, mes parents perdirent la vie alors qu'ils assistaient à un concert à Paris. Si ma grande sœur Mégane est restée inconsolable pendant de nombreux jours, moi, je n'ai pas pleuré. J'ai lu dans un livre que certaines personnes à l'intelligence supérieure pouvaient développer un comportement sociopathe et se détacher de leur humanité. Ce n'était pourtant pas mon cas. J'étais terriblement triste, mais aucune larme ne me vint car un autre sentiment surpassait mon chagrin. La colère.

Mégane, chargée de s'occuper de moi suite à la tragédie, parut remarquer mon étrange mutisme, et décida qu'il serait bon pour moi de parler de mes sentiments. Elle tenta même de m'envoyer à l'un de ces groupes de soutien remplis de « gens comme moi », des surdoués, capables de comprendre ce que je ressentais et de m'aider à surmonter cette épreuve. Elle ne comprenait rien. Je savais exactement ce que je devais faire.

En utilisant l'argent que nous avaient laissé nos parents — et en employant quelques moyens plus ou moins légaux — j'étais parvenu à obtenir tout l'équipement et les matériaux nécessaires à la fabrication de mon prototype de machine à voyager dans le temps. Mon plan était simple : remonter quelques heures avant que mes parents n'aillent à ce concert, et les convaincre de ne pas s'y rendre. C'était la première étape. La seconde serait d'utiliser ma machine pour combattre le mal avant qu'il ne frappe, en toutes occasions, en toutes circonstances. Une bagatelle.

Et aujourd'hui, ma machine était prête. J'effectuais les derniers réglages. Tout était mesuré pour que je remonte jusqu'à cette date marquée à l'encre rouge dans ma mémoire et dans celle de tant d'autres personnes.

Mais alors que je vérifiais l'alignement de mon faisceau à électrons miniaturisé, quelqu'un frappa à la porte du garage qui me servait de laboratoire.

« Qui est là ? m'écriai-je. Allez-vous-en !

— Tu es sûr ? répondit une voix d'homme à travers le battant métallique. Je sais pourtant ce que tu es en train de faire, Lucas. Je sais que tu construis une machine temporelle, et je suis là pour t'aider. »

Je fus pris de court. Je n'avais évidemment pas parlé de ce projet à qui que ce soit, et il était impensable que quiconque ait pu le deviner simplement en m'espionnant.

La machine à voyager dans le tempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant