Je dois aller les voir aujourd'hui mais j'appréhende tellement. Comme une renaissance, et je n'ai pas aimé naître. Il le faut parce que de ce que j'ai compris maman est malade. Je m'en fiche un peu, mais ce n'est pas gentil je crois. Papa parlerait de "politiquement correcte" à haute voix, comme une réprimande, mais il ne le penserait pas. Je crois que papa est à bout de moi. Je crois qu'il aimerait bien ne plus entendre parler de moi. Maman aussi, entendons-nous bien. Mais papa est le reflet de toutes mes colères, de toutes mes crises, de tous mes regards méprisants. Et il en a marre. Il m'aime, mais il en a marre. Il sait que je ne suis pas contrôlable et que je m'emporte quand bon me semble. Adrien a été préservé de ça. Pour une fois j'en suis reconnaissante à maman.
Je ne sais pas quoi faire ; quoi dire ; où me mettre. Je ne veux pas y aller. Ce serait un retour en arrière, quoi de pire quand on a tant avancé ? Adrien compte sur moi. Ah si il savait. Compter sur moi...il ne devrait plus. Avant il pouvait. Je me souviens de toutes les fois où j'allais le chercher à l'école. Et maman elle n'est pas là ? Bah non Adrien pas aujourd'hui. Mais demain alors ? Promis. Je lui mentais ouvertement. J'avais cette fracture dans la pupille, et il n'y voyait que du feu. Comme si maman allait trouver du temps. Elle n'avait le temps que pour les choses futiles : s'il y avait quelque chose à gagner, elle s'empressait d'être présente. Aller chercher son fils chéri ? Oooh je suis fatiguée, tu passeras le prendre tiens, ça te fera les pieds. Si tu savais maman, si tu savais. Moi j'adorais le prendre. C'était mon petit protégé. Tu me le dirais Adrien si il y avait quelqu'un qui t'embêtait hein ? Mais oui Enola, mais personne ne m'embête. Et je lui ébouriffais les cheveux. Il n'appréciait pas mais rigolait tout de même. J'avais envie de me perdre dans les rues avec lui. J'avais envie de ne jamais rentrer. Il aurait tellement fallu que je trouve mon courage à un coin de rue. Puis je pensais à papa. Chaque matin quand il savait que j'allais chercher Adrien, il essayait (sans grande force) de me faire comprendre que lui aussi il comptait sur moi. Il me lançait un cri silencieux qui signifiait que je devais nous ramener, tous les deux, alors j'hochais la tête. Je finissais par avoir des engagements. Voilà pourquoi à chaque fois que je songeais à partir mes pensées se rétractaient d'elles-mêmes.
Je suis partie beaucoup trop tard de cette foutue maison. Et me voilà de retour, cette fois-ci beaucoup trop tôt. Rien n'a changé. Moi non plus, je me tiens devant comme si je faisais partie de l'environnement. Tous ces souvenirs qui me reviennent. Notre enfance se déroule sous mes yeux à nouveau. Je ferme fort les yeux, je ne veux pas voir ça. J'ai adoré ma jeunesse, mais je ne veux rien revivre. Revivre quelque chose, ça gâche tout. Je ne veux plus. Pourtant j'ouvre les yeux et à ma droite je me vois pousser mon frère qui est sur la balançoire, à gauche on court comme des dératés à travers le jardin derrière un ballon, je souris, je sais que Adrien va glisser. Des frissons parcours mon dos. C'était trop beau. Il faisait chaud. Mon monde était coloré. Il l'est toujours. Il y a juste plus de nuances de gris désormais.
Je vais toquer bientôt. J'attends un peu. Mon courage n'est toujours pas au coin de la rue. Il s'est enfui quand je n'étais pas assez grande pour le rattraper. Je me frotte le bras, je n'ai pas froid, j'ai peur. Il faut l'avouer. Rien ne sert que je me voile la face. J'ai peur. De quoi ? Adrien risque de me sauter dans les bras, papa de me serrer la main, au pire de me serrer dans ses bras et maman ? Endormie dans son lit, pâle, ridée, vieille. Il n'y a pas de quoi avoir peur. Et s'ils avaient changé ? Cinq ans c'est long et pas tant.
La poignée tourne sans que je n'ai eu à toquer. Ils savent déjà. J'ai les larmes qui montent. Pourquoi si tôt ? Je ne les aime pas. Je ne les aime plus. J'aime Adrien, je ne doute pas de moi là-dessus. Mais je ne veux plus avoir de parents. A quoi ça peut bien servir un parent ? Moi je n'ai pas connue l'amour familial, je ne veux pas.
C'est Adrien, je lui fais chut avec le doigt et il comprend. Il a grandi parce que maintenant il comprend. Je pleure en silence et il ne dit rien. Je crois qu'il m'a oublié. Je ne ressemble plus à la sœur qu'il avait. Tu m'aimes toujours ? Bien sûr Enola, bien sûr, murmure-t-il. Et je me blottis dans ses grands bras. Je veux être la petite sœur, je le veux tellement.
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Je te prête mes pensées.
RomanceEnola, à l'envers ça fait Alone. Ma mère m'avait toujours dit que je finirais seule.