La peur

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Le premier flocon de neige s'était posé sur le rebord de la fenêtre, aussitôt suivi par mille autres, sous les yeux ébahis de Lisettte. C'était la première fois qu'elle voyait de la neige si tôt en cette saison. Son père l'appela de nouveaux depuis le salon :
- Lisette ! Cela suffit maintenant ! Vas te coucher !
La petite tressaillit ; elle ne voulait pas traverser le long couloir sombre qui menait jusqu'à sa chambre. Elle avait une effroyable peur du noir et de ce qui pouvait s'y trouver. Son père pensait que cela était absurde et il affirma d'un ton méprisant :
- Peuh ! La peur. Et puis quoi encore ! Je n'ai jamais rien vu d'aussi ridicule !
Cette dernière phrase déclencha une véritable polémique au sein de la famille : son épouse affirmait que si, la peur nous était propre et que chacun craignait quelque chose, comme elle les araignées. Elle fut immédiatement approuvée par sa mère qui criait a moitié qu'il ne fallait pas avoir honte d'avoir peur et qu'il était parfois utile de se méfier de quelqu'un.  Le frère de Lisette, lui, rejoignait plutôt l'avis de son père qui était que si la peur existait réellement, seul les braves comme lui ne la ressentait pas. La salon, calme auparavant,  était devenu cacophonique. On aurait dit qu'une tornade avait balayé le pièce et que chacun s'était mis a parler sans écouter un traitre mot de ce que disaient les autres. Seul le grand père était resté muet. Mais une lueur d'intérêt avait brillé dans son regard, montrant qu'il ne restait pas extérieur au débat.

                                ***

D'une petite toux sèche, il prit la parole :
"Dans ma jeunesse, j'étais brave et farouche, capable de tout et n'ayant peur de rien. "
Le silence de fit immédiatement autour de lui : jamais le grand-père n'intervenait dans les discussion.
" J'ai mon point de vue moi aussi et je vais vous conter mon expérience.
Enfant, je sortais clandestinement la nuit sans jamais craindre le redoutable martinet paternel. Jeune homme, il m'arrivait parfois de circuler dans des ruelles lugubres et mal fréquentées sans jamais que la peur ne m'en empêchât. J'y fis d'ailleurs de nombreuses mauvaises rencontres mais n'hésitait jamais toutes les fois où je dus me battre. Je ressentais alors ce prodigieux sentiment de liberté et de victoire, même si lèvre pendante et contisionné, je rentrais quelque fois chez moi, battu mais fier. C'est ainsi que je pris l'habitude de me  rendre chez un médecin peu curieux. Il me recousait et dodelinait de la tête pensivement. Cependant, j'avais le sentiment qu'il me comprenait et qu'au fond de lui, mes histoires l'égayaient et agrémentaient ses journées monotones.

Un jour, il me proposa un marché :
"Un laboratoire a besoin de volontaires pour ses recherches sur les prothèses des handicapés. Je sais que vous êtes brave. De plus, vous serez grassement rémunéré. Si cela vous intéresse, vous pouvez soumettre votre candidature. "
Comme j'avais besoin d'argent et que je n'avais nullement peur d'un test médical, j'acceptais sans hésiter. Je me retrouvais donc un samedi matin, parmi une dizaine de personnes, a la porte du laboratoire. L'un d'entre elles était particulièrement grand. Il portait un jogging et un polo rouge. Il devait passer en premier et j'étais cinquième. Je m'ennuyais et l'observait. Je remarquai un tatouage en forme d'œil au niveau de son poignet. Le haut parleur grésilla et les trois premiers entrèrent. Je commençai a trouver le temps long et, après deux bonnes heures d'attente, on m'appela a mon tour. Je pénétrai dans le laboratoire et suivis les panneaux d'indication qui menaient a la salle. Dans un couloir, je croisai deux infirmiers qui raccompagnaient le jeune homme au polo rouge sur un brancard. Seule sa tête dépassait du drap et des yeux étaient fermés. J'entrais dans une chambre et m'assis sur le lit situé au centre de la pièce. A ma droite, se trouvait  une blouse blanche et je compris que je devais l'enfiler. Ainsi pare, je passai une nouvelle porte et fus accueilli par une équipe de médecins. On m'allongea sur une table et on m'expliqua qu'on allait m'endormir.
Un des hommes en blouse blanche débuta le compte a rebours. Cinq secondes avant de sombrer dans le sommeil, j'eus le temps d'apercevoir sur une table, mal cachée par du tissu, une main sectionnée. Un œil bien visible sur le poignet me fixait pendant que mes yeux, incontrôlables, se fermaient. "

                               * * *

La neige avait maintenant recouvert tout le jardin. Le grand père se pencha en avant et dit :
" Lisette, ma cherie, tu as raison d'avoir peur. La peur protège de certains dangers. Peux-tu s'il te plait accrocher le tisonnier a ma prothèse pour que je  ranime le feu ? "

Jamais il n'avait raconté comment il avait perdu sa main, ni de ce jour ou il s'était rendu compte trop tard que la peur aurait pu le sauver.

FIN !





Voilà c'est assez court mais j'espère que ça vous a plut !!

La peurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant