Le Tigre

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Le tigre tournait dans sa cage depuis deux heures, il n'y avait que cela à faire en attendant le déjeuner et le félin avait besoin d'exercice.

Tout se répétait chaque jour : il tournait en rond, mangeait, regardait les visiteurs et dormait. L'animal ne connaissait pas d'autre vie et cependant, il se doutait qu'elle n'était pas faite pour lui. Il rêvait souvent de partir et en avait même trouvé le moyen. Mais quel intérêt s'il ignorait où aller ! s'il ignorait que faire d'autre de ses journées. Et puis, s'il partait, la nourriture ne viendrait plus par elle-même. Parfois, un petit animal était lâché entre les barreaux en plus de la viande normale et le tigre lui donnait la chasse. Il se sentait alors vivant, réel. Mais ces moments étaient rapides et il ne pensait pas réussir dans la nature à le faire tout le temps.

Il ne connaissait que le zoo et ces nombreux visages qui le défiguraient sans cesse. Ces orbites braquées sur lui le terrifiait. Ils traversaient la vitre et fonçaient sur lui, le poussaient dans ses derniers retranchements pour en extraire ce qu'ils voulaient en voir. Le tigre se laissait faire. Il n'en avait pas vraiment le choix, il était à leur merci dans cette prison.

Aveuglé de toute part par ces projecteurs, le félin ne possédait aucune vie privée alors, bravant tous les dangers, il tentait de comprendre en vain ces pupilles vides : le tigre cherchait à voir leur âme comme les hommes observaient ce qu'ils voulaient dans la sienne. Des coquilles, juste des extérieurs sans rien pour remplir, c'était ce que ces humains lui semblaient être. Leurs yeux étaient dénués de sens pour la créature qui se sentait inférieur, incapable de comprendre là où les autres réussissaient.

Soudain, elles se croisèrent. Ces âmes pareilles. Ces deux êtres différents.

L'animal plongea dans les pupilles humaines et l'être humain tomba dans celles animales.

Le tigre se perdit dans la contemplation de ces iris changeantes. Tantôt bleues, tantôt vertes, rouges, ou jaunes, violettes... les couleurs se mélangeaient et se séparaient. Le premier mot pour les décrire serait éphémère, le second, éternel. Ces yeux immortels seraient à jamais les mêmes.

L'être humain se retrouva dans le regard du félin, dans ces yeux immuables et immortels. Sa couleur unie partait en dégradé sur les bords, floutant ces derniers autant que les marquants.

Les prunelles de ces deux êtres se trouvèrent pour ne plus se quitter.

« Hého ! Je suis là ! J'ai vu un lion, venez voir. »

L'enfant tomba droit dans les bras de ses parents, son frère et sa sœur, rompant le contact entre ces deux âmes. Le petit être entraina sa famille et le tigre se retrouva seul de nouveau.

Unejournée, une semaine, plusieurs années, qui put dire le temps exact quis'écoula après ce jour. Pour le prisonnier, cela dura trop longtemps. Sasolitude lui pesait et le regard le hantait tandis que les trous blancs seposaient sur sa fourrure rayée. Il savait qu'il ne rencontrerait plus jamais deregard tel que celui de l'être humain.

Le RegardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant