- Guardian -

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« Anna ne réfléchit pas une seconde et sauta du toit de l'immeuble à sa suite. Elle se fichait des conséquences, des blessures qui tortureraient jour et nuit sa chaire immortelle jusqu'à ce qu'elle guérisse. Elle accéléra sa chute, la tête tournée vers le sol, le corps parallèle à la façade de l'immense bâtiment qu'elle longeait à toute vitesse. La main tendue, elle parvint à attraper le bras de la petite fille. Celle-ci s'accrocha à elle en hurlant et Anna l'entoura d'une étreinte solide. Dans un dernier effort, elle inversa leurs positions afin que ce soit elle qui encaisse le choc et non l'enfant. »

Je reposai mon stylo et étirai mes doigts, un sourire fatigué aux lèvres. Mon chapitre était terminé. Plus qu'un et je pourrais affiner ma relecture, envoyer mon manuscrit à mon éditeur qui me pressait de délais impossibles. Mais je ne savais plus où j'allais avec cette histoire, comment la finir. Ma tasse de thé avait refroidi à côté de moi et je grimaçai en avalant le liquide à peine tiède.

Je relevai mes lunettes de repos dans mes mèches rousses en bataille. De deux doigts, je massai mes paupières. Je devais encore avoir l'air d'un drogué, mes yeux trop clairs visiblement rougis par une nuit blanche. J'avais même oublié de me raser. Mais j'avais l'habitude de ces jours « sans ». Ces jours où je n'étais que l'ombre de moi-même.

Un coup d'œil à ma montre m'indiqua que mon rendez-vous allait devoir souffrir de mon retard. En hâte, je refermai l'un de ces nombreux carnets que j'avais récupérés dans le grenier de mes parents. Ils me servaient de support pour donner vie à ma saga fantasy autre part que dans ma tête. D'après ma mère, il s'agissait des affaires abandonnées par mon arrière-grand-père disparu prématurément. Tous reliée de cuir, l'odeur vieillie, je ne me sentais capable d'écrire que dans ces pages anciennes, laissées singulièrement vierges par mon aïeul.

Ma main trouva mon trench sur le dos de ma chaise et l'autre partit à la recherche de mon écharpe qui avait échoué au sol. Je retirai mes lunettes, fourrai mon portable et mon paquet de cigarettes dans ma poche. Quelques secondes plus tard, j'étais sorti, assailli par l'air frais du mois de février. Le verglas avait envahi les rues de Londres et le smog se répandait comme s'il jaillissait des bouches des passants qui exhalaient une brume glacée.

Je fourrai mes mains dans mes poches et rentrai mon menton dans mon écharpe. Mes doigts trituraient mon briquet, hésitant à allumer une cigarette. Je me résignai et accélérai l'allure, veillant à ne pas glisser comme d'autres riverains moins prudents. Mes pas m'arrêtèrent devant le bâtiment chic qui abritait le lieu de mon rendez-vous. Je m'annonçai à l'interphone. On m'ouvrit et je grimpai les quatre étages, refusant l'appel tentant de l'ascenseur.

La secrétaire, Myriam, me reconnut et me sourit. Carré noir plongeant, rouge à lèvres de teinte éclatante : elle était tout à fait adorable. Nous prenions parfois le temps de discuter, mais je n'avais jamais pu me forcer à l'inviter à boire un verre. Pas par honte de consulter sa patronne pour mes rendez-vous hebdomadaires, mais davantage parce que je sentais que je ne pourrais jamais tomber amoureux d'elle. Et c'était d'ailleurs pour cette raison que je continuais à faire appel au Docteur Temple.

– Elle vous attend, Axel, m'indiqua-t-elle.

Je lui adressai un signe de tête pour la remercier et esquissai un sourire vague avant de me précipiter vers la porte laissée entrouverte à mon intention. Je toquai et passai seulement mon visage. La Docteur Cécilia Temple releva le nez de ses notes et me sourit largement. Elle approchait de la retraite, les cheveux grisonnants, la silhouette menue, fragile. Elle se leva pour m'accueillir et me fit signe d'entrer et de m'asseoir. Je m'exécutai, gagnant ma place habituelle face à elle. Mes mains trouvèrent rapidement la petite vis qui dépassait du bureau et occupait ma nervosité.

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