Je me présente, Wissem aussi surnommée l'enfant cheloue entres autres surnoms qui ont bien bousillé mon enfance. J'ai 18 ans, bientôt 19 d'après mon père qui kiffe me vieillir. Dans ma vie ce que j'aime le plus, je crois que c'est la lecture et l'écriture, les deux basés sur un partenariat solide avec la solitude. J'aime bien rêver aussi. Ouai je vous l'accorde, d'emblée elle pue l'ennui ma vie. Mais je vais pas nier une vérité, rêver, c'est mon loisir numéro un depuis l’enfance. Le cacher ça serait comme vouloir cacher un chtar bien dégueulasse du premier jour des règles avec du fond de teint du marché. Autant dire, peine perdue. Je me souviens qu'à l'époque des bacs à sable, quand les enfants jouaient à la récré en se courant après avec leur crotte-de-nez, moi je m’asseyais tranquillement sur un banc et j’imaginais des contes où j’étais l’héroïne. La fille clairement en manque d'occupations. Genre « La moche au bois dansant », « Cendrier et son père charnu » « Crade bouche et les sept dents », ça aurait pu s’appeler comme ça. Je pourrais pas dire pourquoi mais j’aimais bien cette sensation et je l’aime toujours. Je compare ça à une drogue carrément. Je me fais des lignes de dream et cette came, on pourra dire ce qu'on en veut : c'est de la bonne. Ok, j’arrête mes métaphore de toxico, je n'ai pas envie d'être lâchement dénoncée et qu'on envoie les keufs chez moi, en mode "Que personne ne bouge sortez la coke du cagibi. Mademoiselle, ouvrez les yeux et videz le sac Tati. Et le monsieur derrière, posez toute de suite cette claquette, si vous voulez pas finir en garde à vue." Bref.
Nan sérieux, c'est cool de rêver. Quand j'étais gosse, me dire que les limites n’existaient pas et que tout était possible, ça m'emmenait loin. En un battement de cil, j’étais ce que je voulais être, bien loin de ce que j'étais réellement. C'était super arrangeant parce que faut dire que dans les rêves, on a pas de varicelle et encore moins de touffe de cheveux secs remplie d'huile, ni même de vêtements Tex multicolores qui foutent la honte, du CP à la Terminale.. Bon les deux derniers exemple, ne concernent peut-être que moi, je conçois. Mais ce qui est universel, c’est que dans les rêves il n'y a pas de tristesse ni intempéries sauf si on veut qu'il en ait. Exemple, si dans mon rêve d'un coup y'a une tempête de neige qui survient, conséquence, un beau jeune homme sensible et romantique se retrouve bloqué devant ma porte. Bon même si ça sonne faux d'emblée dans une même phrase " jeune homme sensible et romantique" mais j'ai bien précisé que c'était un rêve. Donc on est en décembre rappelons-le et même si ça caille, en aout il n'y aurait pas eu de neige et puis de toute façon, on s'en fout, y'a le chauffage gratuit dans les rêves. Au final, un mec idyllique se retrouve devant ma porte « accidentellement » et forcément il tombe follement amoureux de moi, cela va sans dire.. Ce jour-là, il y avait le mariage de la Reine Hawa 2 du château d’en face et j'ai même pas blagué comment je m'étais mise en mode. Bon après on sait bien, nous vécûmes heureux jusqu’à la fin des temps préhistoriques avec au passage 72 enfants et aucune belle famille pour venir foutre le bordel dans notre mariage. C'est pas une découverte, belle-famille = élément brise-couple. Jusque-là j'apprends rien à personne. Cette Happy-end tout le monde la connaît. C’est tellement caricatural du bonheur et c'est ce qu'on nous sert dans les comédies romantiques US mais sérieusement sans se mentir, qu'est-ce qu'on aime ça.
Parce que dans la vrai vie, c’est autrement : on naît, on pleure, on meurt.
Malgré les apparences, je suis pas là pour parler philosophie et conte de fée. Wissem, de mon prénom, est une fille heureuse qui rentre chez elle en ce jour du mois de Juillet. Installée au fond du bus, le dernier Guillaume Musso dans les mains, je reviens de mon lycée, une bonne nouvelle à annoncer en poche et appelle mon père :
-Allo ?
-Je l’ai eu !!
-Allahou akbar ! Allahou akbar !!! crie mon père sans relâche.
Sa voix transcende le mur du son et les quelques personnes présentes dans le bus me regardent comme si je faisais parti d’un groupe de fanatique religieux en "iste" et s’imaginent que mon livre renferme la poudre de la mort.
- Combien la note ? mon père renchérit.
-17,3, j’ai eu mention très bien.
-Allahou akbar !!! Lahillaha illa Lah !! La hawla wa la quwata Illa billah, il reprend de plus belle. J’entends les cris de ma grand-mère et ses youyous s’ajouter à la mêlée. Aya rontres, t’auras la seurprise du plaisir !
Rouge comme une citrouille qui se veut se prendre pour une tomate, je lui dis que j’arrive au plus vite. La situation est certe, gênante en publique mais la joie de ces deux êtres passe au-dessus de tout et puis de scènes comme ça, je suis nourrie depuis la naissance.J’ai été élevée par Papa et Mouany, ensemble. Mouany, ma grand-mère, c’est la figure maternelle protectrice et aimante par excellence. Depuis sa naissance elle n’a eu de cesse me répéter « Ma fille, le Bon Dieu a rappelé ta maman vers Lui alors, toute ma vie, je ferais en sorte de t’aimer comme au moins 100 mamans » et elle a pas menti. Son amour me couve chaque jour d’avantage. Des sacrifices, elle en a fait pour moi, pour nous, elle qui rêvait de finir ces vieux jours dans sa terre natale au Maroc où elle vivait paisiblement jusqu’à ce que ma mère vienne à mourir, fini ses vieux jours dans un HLM crasseux du Bourget. Au pays, le bruit de fond c’était le souffle léger des brises de vents chauds, cet air propre à la méditerranée magnifié par un effluve de fleur d’oranger. Tandis qu'ici, elle doit supporter le bal des voitures de la A1 et l’odeur de fioul qui lui brûle le nez et occasionne de nombreuses infections chroniques. Franchement, j’aurais travaillé tellement plus pour au moins trouver un appartement dans un endroit un peu plus propre et plus calme que le nôtre. Mais avec le salaire de misère d’employé de grande surface de papa et une seule fiche de paye : tu peux rien faire.
J’ai bien voulu contribuer avec l’argent de ma bourse mais « ce n’est pas un revenu fixe pouvant être pris en compte mademoiselle Jilali » m’avait dit la fausse blonde peroxydée de la mairie. En vrai cette meuf, elle s'appelle Salima, elle est tout juste sortie de sa soute en provenance de la Tunisiemais elle demande à ses collègues de l'appeler "Saly" pour faire genre " l’American Girl". La pauvre, elle pense qu'ils n'ont pas remarqué que son accent refoulé ne vient pas de l'autre bout de l'atlantique, mais bel et bien de l'autre rive de la méditerranée.. Depuis quand les kainry ils disent, 'la proucidure' d’abord ? La 'pwocédure' ou 'procédeuw', je veux bien, mais là elle abuse Saly. Avec ces cheveux qui sentent l'huile d'olive fermentée, elle veut se la jouer Glamour en exécutant des cambrures de fine séductrice de la gente masculine. A part toutes les mouches du bâtiment, je ne vois pas qui elle attire. Fin bref. Assez de médisance pour une seule personne. Si j'ai autant la haine contre elle c'est parce qu'elle représente la personnification de mon échec à élever le confort de vie de ma famille. J’avais tenté de la convaincre que je me serais serré la ceinture au point d’en avoir un ulcère à l’estomac tellement je l'aurais serré, mais "que nenni". J’ai pas été étonné.
Avec l’administration c’est comme ça. Tu leur parles de "santé, tristesse et mal-être", ils te répondent en « procédure » , « demande préalable » et « refus catégorique ». Madame Lapointe ma maîtresse de CM2 m’aurait expliqué que ce sont des champs lexicaux complètement opposés. Que peut le peuple.. Malgré tout, ma Mouany elle se démène au quotidien pour nous et elle ne chôme pas malgré ce qu’en dit le gouvernement. Analphabète et non-francophone, elle porte la famille à ras son petit dos courbé et douloureux. Si y’avait pas eu les cafards, se promenant à tout-va pour faire la fête avec nos restes de pains et l’humidité, qui s’infiltrait par les fenêtres mal isolées de notre appartement pourri, on pourrait croire que la maison était située au plein coeur d’un bel arrondissement de la capitale. Propre et coquet.
Ma grand-mère, c’est l’Indiana Johns du ménage et de la déco. Avec son arme fétiche, le bidon de Javel premier prix à 0,99 cent, elle te fait briller le carrelage, au point qu’il m’arrive parfois de m’épiler la moustache en me regardant dedans quand j’ai la flemme d’aller dans la salle de bain. C’est pour dire..
VOUS LISEZ
Puisqu'il faut choisir, la vie à toute épreuve.
General FictionWissem, jeune bachelière, entre en première année de médecine. Entourée par un père aimant mais maladroit et une grand-mère qui compte pour 10 hommes, Wissem essaiera de conjuguer sa vie casanière telle qu'elle l'aime et les changements qui lui arri...