Noël entre deux étages

Noël entre deux étages Chapitre 1

Chapitre 1

LOU

31 octobre 2016

— Il va me rendre folle ! Mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? J'ai dû être horrible dans une autre vie pour qu'on m'en veuille autant dans celle-ci.

— Lou, si c'est vraiment horrible, déménage !

— Et le laisser gagner ? Jamais, tu m'entends, jamais !

— Pfff ! Et qu'est-ce qu'il se passe cette fois-ci ?

— Il organise une soirée pour Halloween et il a décoré le palier. Et tu ne devineras jamais ce qu'il a osé faire ?

— Je suis nulle en devinette, alors abrège ma souffrance s'il te plaît.

— Il a collé une pancarte sur ma porte qui dit «L'antre de la sorcière... À vos risques et périls ». Tu te rends compte ?

— Ahahaha. Il a de l'humour, on ne peut pas lui reprocher cela.

— Je ne trouve pas ça drôle, Julie. Et en bonne amie, tu devrais être aussi choquée que moi.

— Lou, votre guéguerre dure depuis presque une année. Vous êtes de plus en plus ridicules et mesquins l'un envers l'autre. Même si au début je trouvais ça drôle, ça commence à devenir lassant. Donc, je te répète ce que je t'ai dit la dernière fois, parle-lui et dépose les armes ou déménage. Et ma chérie, si je te dis ça, c'est parce que je suis ton amie justement.

— Hum, hum, si tu le dis. Je vais aller me chercher à manger au restaurant chinois avant de me remettre à bosser. De toute façon, ce n'est pas ce soir que je me reposerai.

— Si tu ne peux rien faire, incruste-toi à sa soirée.

— Ça ne risque pas, je préfère encore me casser une jambe. À demain, ma Juju.

— Bonne soirée et sois zennnnnnn.

Je regarde mon téléphone quelques secondes après avoir raccroché. Déménager ? Non, c'est impensable.

Premièrement, car j'adore mon chez moi et que je ne trouverai jamais l'équivalent au même prix. Et deuxièmement, pour une raison totalement immature, je ne souhaite en aucun cas laisser du terrain à mon voisin de l'enfer. Après tout, j'habitais ici bien avant lui. Si l'un de nous doit partir, ce sera lui.

Cela fait exactement dix mois que je partage mon étage avec Nicolas alias Nick et cela fait autant de temps qu'il fait tout pour me faire craquer. Bon, j'avoue que je le lui rends bien et que grâce à lui, j'ai largement développé mon imagination en plans machiavéliques. Mais remettons les choses à leur place, c'est lui qui a commencé ! Oui, annoncé de la sorte, c'est très puéril et pathétique mais je vous défie de ne pas répliquer aux attaques du diable personnifié.

Moi, une certaine tendance à exagérer ? Si peu...

Je me dirige vers l'entrée, récupère mes clés, mon sac à main et me regarde dans le miroir. Une sorcière ? Pas tellement, mais s'il fait référence aux sœurs Halliwell de la série Charmed, je veux bien. Enfin, connaissant mon voisin, il me voit plutôt avec un poireau sur le menton, un nez crochu et des ongles aiguisés comme les serres d'un aigle. Pourtant, je suis mignonne d'après mes amis. Blonde avec des cheveux qui cascadent en grandes boucles le long de mon visage, des traits fins et féminins, des yeux bleus très expressifs et ce dont je suis le plus fière, une bouche pulpeuse que j'adore maquiller de rouge. J'expire un grand coup et passe le pas de la porte en espérant ne croiser personne. Pour une fois, la chance semble être de mon côté car le palier est vide. J'abandonne l'idée de l'ascenseur, ne voulant pas rester trop longtemps sur place et risquer une rencontre explosive. Il se pourrait que la sorcière qui sommeille en moi se réveille à la proximité d'un certain malotru. D'un pas hâtif, j'emprunte les escaliers et descend les trois étages qui me séparent du hall d'entrée. Alors que je passe le porche, je reconnais la voix de Nick. J'aimerais avoir la capacité de devenir invisible pour échapper à l'entrevue qui s'annonce. Il ne m'a pas encore vu et je peux le détailler sans crainte. Il porte un costume de pirate, ce qui lui va étonnamment bien. S'il n'était pas aussi détestable, je le trouverais sûrement très beau. Il se retourne et son regard bleu azur se pose sur moi. L'air espiègle qu'il prend dès qu'il m'aperçoit est encore plus accentué que d'habitude.

— Est-ce que tu as conscience de ta chance, au moins ? me demande-t-il en souriant exagérément.

— Quand je te vois, ce n'est pas à la chance que je pense.

— C'est qu'elle est drôle, en plus. Ta chance, c'est qu'en ce jour, tu économises un déguisement. Et c'est sûrement le seul jour de l'année où tu ne fais pas peur aux enfants.

— Ohhh, quand monsieur manque d'humour, il devient méchant. C'est bon à savoir. Ce n'est pas en pirate que tu aurais dû être grimé mais en monstre.

— Aurais-je égratigné la princesse ? rit-il. Je te pensais plus coriace.

— Ne me sous-estime pas, tu risquerais d'être surpris.

Je souris à l'idée qui vient de me traverser l'esprit.

Rira bien qui rira le dernier.

Je me faufile dans la rue d'un pas guilleret. Ce soir, je gagne la bataille. Le temps d'attendre ma commande, je mets en place ma stratégie. L'aide de Mr Wang est la bienvenue quand il me fournit le matériel dont j'ai besoin. Trente minutes plus tard, le résultat est concluant. J'aurais pu faire mieux si j'avais eu mes propres outils mais je suis persuadée de l'effet qu'aura mon petit cadeau. Mr Wang rigole encore lorsque je quitte son restaurant et me fait promettre de lui faire un compte rendu de la soirée. Arrivée devant mon immeuble, un sourire pointe doucement sur mon visage. Mon plan est en marche. Je récupère la première affichette que j'ai faite durant mon attente. Ma passion pour le dessin et mon métier de graphiste m'ont largement aidés à rendre le résultat convaincant. On y distingue très clairement Nick en version Shrek assis sur des toilettes alors qu'une bulle de dialogue venant de l'extérieur indique « Il a bien choisi le jour pour nous faire chier ! ». Je rentre et placarde généreusement les photocopies faites par Mr Wang. Je ne rate rien, les cages d'escaliers, l'ascenseur et notre palier. La chance est avec moi car je ne croise personne qui me dénoncerait. Je rentre chez moi et me prépare un plateau repas lorsque j'entends les premiers rires et distingue distinctement un des invités interpeller mon voisin : « Shrek, mais c'est tout toi ça ! Je crois que tu viens de trouver ton nouveau surnom. C'est vraiment bien fait, en plus. »

Double victoire... Nick ridiculisé et mon travail apprécié. Finalement, cette soirée est bien plus agréable que ce que j'imaginais.