En ce temps-là, Alex Loris était encore au lycée. Il faisait également partie de cette catégorie de gens qui y ont eu la vie dure. Il avait le tempérament vif et beaucoup de monde s'en amusait, un peu comme une bande d'enfants immatures s'amusent à narguer un serpent du bout d'un bâton. Puis soyons honnête, qui est mature au lycée ? Ses parents étaient divorcés, il vivait avec sa mère et n'avait pas revu son père depuis plus de dix ans. Il recevait une carte postale pour son anniversaire.
Tous les jours il faisait le trajet jusqu'au grand portail sur son VTT. Il passait les portes et fonçait droit sur les râteliers à vélo en prenant soin d'y fixer l'anti-vol, tout en priant pour qu'il retrouve sa selle le soir venu. On la lui avait déjà volé deux fois. La première, il avait été contraint de rouler sans elle pendant près d'un mois avant de la voir mystérieusement reparaître. La deuxième, il l'avait découverte dans le local à ordure de la cantine, couverte de purée. Merveilleux. Dix-sept ans et il était entouré de gars qui en avait huit dans leurs têtes.
Il s'en alla vers la salle de maths en repositionnant ses lunettes. Ses cheveux noirs et bouclés étaient probablement déjà ébouriffés en tout sens à cause du vent. Il monta les marches et alla s'asseoir au premier rang sans parler à personne. Seules quelques élèves étaient déjà là, en train de fignoler leurs exercices de géométrie. Alex arrivait souvent très tôt. Même sans réveil, il était debout à quatre ou cinq heures du matin et comme il ne pouvait jamais se rendormir, il allait regarder un film devant la télé ou il faisait rapidement les devoirs qu'il avait eu la flemme de faire la veille. Il haïssait les études tout autant qu'il haïssait ses camarades de classe.
Il déboutonna sa veste, l'étendit négligemment à côté de lui sur le bureau et sortit un livre et se replongea dans les méandres de cette histoire de détectives et de démons qui revenaient sur terre tous les ans... Extérieurement, il devait avoir l'air tranquille. Intérieurement, son cœur brûlait d'une peur noire et constante, la même que devait ressentir une souris lâchée au milieu des chats. Il ne voulait pas de cette journée, ni d'aucune autre d'ailleurs. Il ne désirait qu'une chose, que le temps s'arrête et qu'on le laisse en paix finir son livre. Cela n'arriverait pas, il le savait. Il ne restait plus que quelques minutes avant la sonnerie et doucement, il entendait la pièce se remplir. Sans lever le nez, juste au bruit qui s'amplifiait, il pouvait dire qui était là ou non. Les sœurs Zawas étaient toutes deux présentes, Mathieu, Azedine, Jonathan, Steph, Arya, Vince, Manon... Ils étaient tous passés devant lui sans le déranger. C'était aussi rassurant qu'exaspérant. Au moins, ils avaient eu la décence de ne pas le perturber dans son activité matinale. D'un autre côté, il savait qu'aucun d'entre eux ne l'aurait salué, s'il avait attendu le nez en l'air sans le moindre passe-temps.
Pourtant il les connaissait tous. Au moment où il entendit résonner dans le couloir tous ces pas et ces rires, la peur qui coulait dans ses veines à la manière d'un torrent de lave, se glaça d'un bout à l'autre de son corps. Dans sa tête, il revoyait avec appréhension tout ce qui s'était déjà passé dans cette salle et tout ce qu'il risquait encore de s'y passer. Il voulait s'enfuir et sécher les cours. Il savait également qu'il ne pouvait pas. Il était coincé. Le groupe de quatre garçons entra bruyamment sans lui prêter attention, et alla s'installer dans la rangée derrière lui, juste devant le bureau d'Emma et Maëlys. Ses sens se bloquèrent. Il n'arrivait plus à lire et les voix n'étaient plus que des bourdonnements étouffés. Il se concentrait sur sa respiration, comptant les secondes jusqu'à la sonnerie salvatrice.
Les corridors et la salle grouillaient à présent de vie mais tout cela lui était étranger. Soudain il sentit un petit objet ricocher sur sa tête. Alex se retint de passer sa main sur la petite pointe de douleur à l'arrière de son crâne et fit mine de rester absorber dans son livre, dont il avait perdu le fil à présent. Il sentit d'autres impacts et des cliquetis résonnèrent sur le bureau. Il détourna les yeux. Logé sous sa veste était un minuscule bout de plastique aux couleurs vertes et roses, de forme humanoïde et avec des cheveux blonds... Il reconnut l'objet comme étant des figurines de Polly Pocket. Ils n'en fabriquaient plus depuis longtemps. Il se retourna, un masque d'incrédulité posée sur ses traits. Quelques bureaux derrière lui il pouvait discerner le sourire narquois de Dorian Lopes. Assis à sa droite, son camarade de club, Dany, faisait mine de regarder le plafond.
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La Demeure de l'Oublié
HorrorVous voici arrivés, mes enfants. Nous allons pouvoir commencer. Quelle joie de vous voir mourir, après toutes ces années de lutte, après vos incroyables détours... C'est maintenant la fin.