Cassandre acheta la bûche de Noël et sortit dans la rue, la clope au bec, comme toujours avec elle. Elle détestait l'hiver. Hiver glacé, hiver froid, même en ville. Hiver mesquin, hiver mauvais pour les SDF, bon pour le vieux barbu des publicités.
Elle arriva dans son appartement. Il faisait un froid polaire, comme d'habitude. Ses colocs lisaient un magazine pour greluches, elle ne leur prêta pas un regard. S'affairant à l'ouvrage, elle entreprit de dépecer la dinde dont la tête, pas enlevée par le boucher, semblait les regarder depuis l'au-delà. Une sensation bizarre l'envahit : elle avait l'impression que cette volaille la scrutait, la jugeait, et que le fait de la manger ainsi que ces entrailles serait une violation de l'ordre cosmique établi. Elle n'en tint pas compte longtemps, se disant qu'elle était idiote, et mit le volatile gras dans le four ardent. Puis elle sortit la bûche de Noël, énorme, pleine de chocolat à s'en rendre malade, avec des champignons en pâte d'amande et toutes ces décorations mille fois maudites. Les pâtissiers sont les ouvriers du diable, aurait-elle dit pour un peu, regardant son ventre énorme et ses kilos en trop. Qu'ils soient tous maudits. Elle prendrait une toute petite tranche, comme chaque Noël. Puis elle irait se coucher, avec un vide dans le cœur. Quel beau Noël.
La bûche. Elle semblait consciente, comme la dinde. Elle la regardait, mesquine. Bouffe-moi, qu'elle disait, bouffe-moi. Elle grogna et cracha sa cigarette dans la poubelle, haineuse contre le monde entier. Elle mit la sale tentatrice dans le frigo et partit regarder la télé. Elle allait s'abaisser à regarder Les rois du rire comme une vieille croûte, si ça continuait.
Il lui sembla être observée. Elle tourna la tête. Non. De l'autre côté du studio, il n'y avait que le frigo, aussi normal que d'habitude. Elle reprit sa contemplation du petit carré noir et et stupide. L'impression persistait.
Le frigo était toujours normal. TROP normal.
Elle continua de regarder l'émission sans intérêt.
Troisième fois.
N'en pouvant plus, elle ouvrit le frigo. La bûche était là. Une envie soudaine lui vint de jeter cette saloperie à la fenêtre, mais elle se retint. Maudites colocs. Maudite bûche. Elle jeta un regard inquisiteur sur la chose, puis s'en repartit.
"Eh ! lui lança Azilys. Arrête d'ouvrir le frigo, ça fait courant d'air !
- Ouais, dit Maude. Et essaye pas de te servir en douce, comme ça, on surveille ton régime, nous au moins.
- Je...", commença Cassandre, mais elle se dit que c'était inutile.
Elle éteignit la télé, se lava les mains et alla piquer un roupillon.
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ELLE VOUS SURVEILLE
Short StoryVous êtes-vous déjà demandé pourquoi on mange des bûches à Noël ? Et si les bûches nous surveillaient ? Et si, parfois, elles appliquaient leur justice ?